Papiers découpés par un artiste de Chine populaire
La grand-mère loup
Version chinoise du petit chaperon rouge
Traduction de Jacques Pimpaneau
Au pied du Mont du Buffle Couché habitait une vieille femme. Un jour, apprenant que sa fille et son gendre étaient allés en voyage, laissant leurs trois petites filles toutes seules à la maison, la vieille prépara un panier de galettes et de boulettes fourrées à la viande puis, s'appuyant sur son bâton, elle partit. Il faisait très chaud, et ardu était le sentier qui traversait la montagne !
La vieille en sueur, sachant qu'elle n'était plus très loin, posa son panier et se reposa un moment. Soudain, elle entendit un frémissement dans les buissons voisins. Un loup gris en surgit, qui lui demanda :
— La vieille, où allez-vous ?La vieille lui lança une grosse boulette à la viande, qu'il avala en une bouchée. Il en réclama d'autres et, tout en mangeant, il demanda :
— Je vais chez mes petites filles.
— Qu'est-ce que vous avez dans votre panier ?
— Des boulettes à la viande et des galettes frites.
— Faites-moi goûter.
— Où habitent vos petites filles ?Quand la vieille lui eut dit leurs noms, le loup se redressa, s'étira et, montrant les crocs :
— Au prochain village, dans la cour où pousse un grand jujubier.
— Comment s'appellent-elles ?
— Comment pourrais-je me contenter de boulettes et de galettes? Il me faut de la chair humaine !Et, se ruant sur la vieille, il la dévora.
Après quoi il enfila ses vêtements, prit le panier et, s'appuyant sur la canne pour avoir tout à fait l'air d'une vieille femme, il se dirigea vers la maison des enfants.
Arrivé devant la porte, il s'assit sur une meule pour y dissimuler sa queue puis imitant la voix de la grand-mère, il appela les fillettes par leurs noms.
— Qui êtes-vous? demandèrent-elles.La plus jeune allait ouvrir quand l'aînée, regardant par une fente de la porte, chuchota que cette vieille ne ressemblait pas à leur grand-mère :
— Je suis votre grand-mère.
— Pourquoi venez-vous si tard?
— La route était longue et je n'arrive que maintenant au coucher du soleil.
— Vous n’êtes pas notre grand-mère, dit-elle, elle a des taches de rousseur sur le visage.Le loup récita alors une formule magique : pour que le vent qui va d'est en ouest souffle du son sur son visage.
Il demanda de nouveau aux fillettes d'ouvrir. La seconde fit comme l'aînée, regarda par la fente de la porte : la vieille femme avait bien des taches de rousseur, mais pas de bandelettes autour des jambes comme en portait leur grand-mère :
— Vous n'êtes pas notre grand-mère, lui dit-elle, vous n'avez pas de bandelettes aux jambes.Et le loup de réciter un autre charme : pour que les hirondelles du nord et du sud lui portent des bandelettes ! Deux feuilles de sorgho apparurent à ses pieds, qu'il attacha autour des jambes, puis il rappela les petites filles. La cadette regarda à son tour par la fente :
— C’est vraiment notre grand-mère, dit-elle, je avais lui ouvrir.Le loup entra dans la pièce et s'assit sur un seau pour y cacher sa queue, puis il dit aux enfants :
— Il est tard. Allons nous coucher. Qui va dormir avec moi ?Quand elle sentit les poils, elle demanda ce que c'était :
— Pas moi, dit l'aînée.
— Ni moi, dit la seconde.
— Moi, je coucherai avec grand-mère, dit la cadette.
— C'est du chanvre que je t'ai apporté. Dors vite ! répondit le loup.Les deux aînées n'étaient pas rassurées : prises de doutes, elles ne s'endormaient pas. Au milieu de la nuit, elles entendirent leur grand-mère qui croquait quelque chose.
— Que mangez-vous ? Grand-mère, faites-le nous goûter.Et la grand-mère leur jeta quelque chose. Les fillettes tâtèrent pour savoir ce que c'était : c'était une bague de métal autour d'un doigt. Les filles comprirent que dans le lit était un loup, qu'il avait mangé leur grand-mère et s'apprêtait maintenant à leur faire subir le même sort. Elles allèrent discrètement réveiller leur cadette. Au bout d'un moment, l'aînée dit :
— La nuit, je tousse. Mais vous, mangez un peu de carotte, c'est bon pour les yeux.
— Grand-mère, j'ai envie d'aller aux toilettes.L'aînée sortit, emportant en cachette une grosse corde. Un peu plus tard, la seconde fille dit :
— Dehors, la nuit, c'est trop dangereux, pisse sous le lit.
— Non, sous le lit, il y a le dieu du lit.
— Va dans la cuisine pisser sur le charbon.
— Non, dans la cuisine, il y a le dieu du foyer.
— Va faire cela derrière la porte.
— Ce n'est pas possible non plus, il y a le dieu des portes.
— Quelle emmerdeuse, va dehors sur le tas de fumier !
— Grand-mère, j'ai envie moi aussi.La seconde fille sortit, en emportant sans se faire voir une jarre d'huile. Ensuite la cadette, quand elle eut échangé avec le loup les mêmes mots que ses deux sœurs, descendit du lit à tâtons et se faufila dehors.
— Dehors c'est trop dangereux, pisse sous le lit.
— Non, sous le lit, il y a le dieu du lit.
— Va dans la cuisine pisser sur le charbon.
— Non, dans la cuisine, il y a le dieu du foyer.
— Va faire cela derrière la porte.
— Ce n'est pas possible non plus. Il y a le dieu des portes.
— Quelle emmerdeuse, va dehors sur le tas de fumier!
Une fois dans la cour, les trois fillettes grimpèrent se réfugier en haut du jujubier, avec la corde et la jarre d'huile ; elles versèrent l'huile le long du tronc. Le loup attendit un moment tout seul dans le lit puis, ne voyant pas revenir les filles, il appela.
— Grand-mère, venez vite! répondirent-elles, il y a un mariage chez les voisins et ils donnent un magnifique feu d'artifice !Le loup, inquiet de sentir échapper sa proie, courut dehors et s'efforça de grimper à l'arbre, mais il avait beau y user ses griffes, il ne faisait que glisser.
— Votre grand-mère est trop vieille, dit le loup. Je n'arrive plus à grimper, tirez-moi vite !Les deux cadettes tirèrent la corde jusqu'à ce que le loup ait atteint la branche maîtresse, puis elles la lâchèrent si brusquement que le loup, d'un coup, tomba sur le sol. Fou de colère, il leur cria de descendre pour qu'il les mange.
— Nous avons une corde avec nous : nous n'avons qu'à t'en lancer un des bouts, accroche-toi par la ceinture et nous te tirerons.
— Allez-y, tirez ! dit le loup, après s'être noué la corde autour de la taille.
— Grand-mère, dit doucement l'aînée, mes deux petites sœurs n'avaient pas assez de force, mais cette fois je vais tirer.Le loup était si désireux de les dévorer qu'il en oublia la douleur et après avoir renoué solidement la corde, il cria :
— Ce coup-ci, mettez-y de la force, ne laissez pas grand-mère tomber !Les trois fillettes tirèrent jusqu’à ce que le loup arrive à la branche maîtresse :
alors, elles le lâchèrent tout d'un coup. Le loup s'écrasa par terre avec un grand bruit sourd ; il ne bougeait plus. Du sang coulait de son nez. Les trois fillettes tirèrent un peu sur la corde, mais il resta sans réagir. Au petit jour, elles descendirent de l'arbre : voyant que le loup était bien mort, elles rentrèrent contentes à la maison.
Le Petit Chaperon rouge, version chinoise, sans rouge ni chaperon
Fables traduites par Jacques Pimpaneau, illustrées de papiers découpés par un artiste de Chine populaire. Courbevoie, Théâtre Typographique, 1986. Tirage limité à 500 exemplaires reliés en accordéon. (21,4 x 12,5 cm). - BnF, Livres rares (Rés. p. Y2. 3043)
Cette édition de deux fables chinoises offre une version du Petit Chaperon rouge "sans rouge ni chaperon" bien éloignée du texte de Perrault mais relativement proche des versions populaires transmises par les traditions orales de diverses régions françaises dont un grand nombre proposent un dénouement heureux, différent toutefois de celui des frères Grimm. La version chinoise inverse les rôles dans la fonction initiale du conte. C'est la grand-mère qui porte un panier de galettes à ses trois petites filles laissées seules. [Source : BNF]
1 commentaire:
... Mon cousin ne me fait que rêver Rouge ... Fut-ce du chinois pour moi ...
Mes amitiées, chère princesse ...
Enregistrer un commentaire