mardi 31 mars 2009

Vous avez dit.... ligne éditoriale ?!




Me voilà confrontée à une dure réalité : ma publication de dimanche ne me plait pas, il me faut donc rapidement poster un nouvel article pour masquer ce poème... Mais que poster ?! Je n'ai rien de prêt sur La petite ville rouge, je suis grave à la bourre côté Les femmes qui lisent sont dangereuses, je n'ai pas envie de pondre quoi que ce soit sur Le petit chaperon rouge... Mais surtout, je n'ai aucune idée du sujet qui pourrait capter mon attention en ce moment... S'en suit alors une horrible prise de conscience : mon blog n'a aucune cohérence, les articles s'enchainent tant bien que mal, mais il n'y a aucune logique... Il ressemble à un gigantesque mauvais, très mauvais patchwork. En clair, et pour employer des termes bien pompeux pour un blog : je n'ai aucune ligne éditoriale...

Certains font des blogs pour discuter de l'actualité, d'autres ont envie de partager quelque passion : la musique, les livres, le tricot, le shoping, le tunning, les collections de pin's, le sexe... Certains blogs sont axés humour, d'autres sont plutôt prises de chou... Mais ils ont tous un point commun : ils ont un semblant de ligne éditoriale ; ils ont tout au moins un point vers lequel convergent plus ou moins clairement chacun de leurs articles.

Moi je ne sais plus bien pourquoi j'ai un fait un blog. Mon premier blog était certainement beaucoup plus léger que celui-ci, il était assurément bien plus drôle. Mais j'avais la sensation de tourner en rond, de ne plus correspondre à ce que je publiais. J'avais l'impression d'être entrée dans le rôle d'un personnage qui, à force d'évolutions, n'était plus tout à fait moi. J'ai donc choisi de suivre un nouveau chemin (celui des aiguilles, justement...!), et de publier des choses qui me tenaient vraiment à coeur, quitte à ne plus être très drôle. Ce blog me ressemble bien plus que le précédent. J'ai à coeur de trouver de jolies illustrations, de construire mes articles au sens premier du terme. Je n'arrive que très difficilement à écrire un post d'un seul jet (celui-ci me fera mentir !). J'aime les penser, les bâtir petit à petit... les peaufiner avec des photographies ou des peintures qui lui donneront — ou pas — un angle nouveau. Je sais bien qu'en changeant un peu de chemin, quelques visiteurs se sont perdus en route, mais je crois en avoir trouvé d'autres... peu nombreux, certes, mais la qualité ne s'évalue pas à ça.

Il n'empêche que si on venait à me demander : « Et toi, tu y mets quoi dans ton blog ? », je serais bien en peine de répondre...

Je m'en vais donc réfléchir à tout ça... Aujourd'hui est une journée déprime... espérons que demain sera meilleur...


L'illustration n'a évidemment rien à voir avec le texte... c'est simplement qu'elle dégage du rêve et de la sérénité, et c'est pile poil ce qu'il me faut aujourd'hui...


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dimanche 29 mars 2009

Parfum exotique



Parfum exotique


Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.


Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal


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samedi 28 mars 2009

Mon bel oranger


Je suis persuadée qu'il existe, pour chaque lecteur, un livre lu pendant son enfance et qui a conditionné sa vie de lecteur adulte. Si je ne devais en citer qu'un, je dirais que pour moi, ce livre est Sacrées sorcières de Roald Dahl... à moins que ce ne soit Corbelle et Corbillo d'Yvan Pommaux...

Certains de ces livres m'ont bien évidemment suivie, et tiennent une place de choix dans ma petite bibliothèque idéale. Mon bel oranger est un de ceux-là. Largement autobiographie, il a été écrit par le brésilien José Mauro de Vasconcelos.

Mon bel oranger ou Histoire d'un petit garçon qui, un jour, découvrit la douleur
A cinq ans, Zézé a tout appris tour seul : la lecture, les grossièretés de la rue, les trafics de billes, les tangos pleins de sentiments du marchand de chansons. Tout le monde le bat, sauf sa soeur Gloria. Ange ou diable, il a un secret dans le coeur : un petit pied d'oranges douces, le seul confident de ses rêves, qui l'écoute et lui répond.
Je garde un souvenir ému de ce livre. Je pense l'avoir lu en 6ème. Zézé est un petit garçon débrouillard que tout le monde bat, plus par principe d'ailleurs que par réelle "nécessité". C'est un petit garçon plein d'amour aussi, et plein d'imagination. Et puis il rencontre Portugâ, un adulte avec lequel il tisse des liens forts... mais Portugâ, un jour, disparait...

Je serais bien en peine de résumer correctement ce bouquin, mais mes sensations restent intactes. Je me souviens avoir beaucoup pleuré en le lisant... de vraies chaudes larmes... Ma mère, qui s'inquiétait un peu de me voir pleurer en lisant a voulu le lire également... Elle a beaucoup pleuré aussi...!

C'est un livre très fort, très poignant. Il fait partie de la littérature de jeunesse, mais il aurait largement sa place en littérature adulte. Le roman est écrit du point de vue de cet enfant de 5 ans. Les mots sont simples, vont à l'essentiel. Je ne sais pas vraiment qu'ajouter pour donner envie de le lire... Il vaut le détour, assurément... Il fait partie de ma pile de livres à relire...


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mardi 24 mars 2009

La réponse était chez le mandarin....


Les contes du mandarin
Illustration de Chen Jiang-Hong (détail)


— Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Épingles ?


Voilà une dizaine de jours, nous nous posions la question ô combien cruciale de la symbolique des aiguilles et des épingles dans les versions orales du Petit Chaperon rouge... Eh bien, il suffisait de lire « Les contes du mandarin » pour en connaître la réponse :

Âge des épingles : une fille de quinze ans atteint l'âge des épingles. Elle change alors de coiffure : défaisant les coques de ses cheveux qu'elle portait de chaque côté de la tête, elle noue sa chevelure en chignon retenu par une épingle. Cela signifie qu'elle est prête à se marier.

L'autre jour, alors que j'étais en grève (et que je n'étais pas payée, je le précise une fois de plus...) et qu'il aurait certainement mieux valu que j'aille défiler dans la rue avec mes petits camarades, une librairie a surgi sur mon passage... Avant même de comprendre ce que se passait, je me suis retrouvée à trainer dans les rayons, entre les nouveautés et les sélections en tous genres... C'est alors que mon oeil bleu pétrole a repéré « Les contes du mandarin » de Élisabeth Lemirre et Valérie de La Rochefoucauld, aux éditions Philippe Picquier... La couverture était belle, le texte semblait tout aussi splendide... Je l'ai donc adopté... Et quelle ne fut pas ma surprise, en rentrant chez moi, de constater qu'il contenait dans ses dernières pages un « Dictionnaire du mandarin » donnant une définition de l'Âge des épingles...! J'ai immédiatement pensé à mes innombrables quatre lecteurs et à la joie que leur procurerait une telle découverte...

Oui, je sais, ma vie est trépidante... Il n'empêche que je suis super heureuse d'être tombée sur cette définition qui prouve, si certains en doutaient encore, que l'histoire du choix entre le chemin des aiguilles et celui des épingles n'est pas un simple divertissement pour enfants, mais qu'il a bel et bien une réelle signification...


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dimanche 22 mars 2009

Le palais de la Berbie


Palais de la Berbie vu du ciel...
Palais de la Berbie vu du ciel...
(Cliquez sur la photo pour l'agrandir)


Albi est une ville magnifique, on ne le dira jamais assez... Sa cité épiscopale est d'ailleurs en lice pour entrer au Patrimoine mondial de l'Unesco. Au centre de cette cité épiscopale, outre la cathédrale Sainte-Cécile qui méritera elle aussi un article sur ce blog, se trouve le Palais de la Berbie. Il est entièrement construit en petites briques rouges, tout comme la cathédrale et moult édifices de la ville. Il renferme le musée Toulouse-Lautrec, récemment rénové.


Palais de la Berbie vu de la place Sainte-Cécile...
Palais de la Berbie vu de la place Sainte-Cécile...
(Cliquez sur la photo pour l'agrandir)


Le Palais de la Berbie

Le palais épiscopal de la Berbie (de Bisbe : évêque) jouxte la Basilique Sainte-Cécile au nord.

Commencé par l'évêque Bernard de Combret, sa construction est poursuivie et achevée sous l'épiscopat de Bernard de Castanet à la fin du XIIIème siècle. À l'image de la cathédrale, l'édifice, conçu par les évêques inquisiteurs, se présente sous l'aspect d'une forteresse militaire. L'imposant donjon ou tour Mage s'inscrit dans ce système défensif. Il comporte deux tours : la tout Saint-Michel qui domine la cour d'honneur et culmine à 34 mètres de hauteur et la tour Sainte-Catherine qui, s'élançant primitivement à 50 mètres au-dessus du sol (elle fut abaissée par la suite), surplombe les rives du Tarn. L'enceinte fortifiée se prolonge vers la rivière par des courtines sur lesquelles s'élevaient 6 tours. Les évêques qui se succèderont vont s'attacher à aménager le palais en belle résidence princière. Ainsi le courtine en regard de la ville est transformée par Louis d'Ambroise en un corps de Logis aux toits d'ardoise et ouvertures encadrées de pierres blanches, dans le style architectural des pays de Loire.


Palais de la Berbie vu de la cour...
Palais de la Berbie vu de la cour...
(Cliquez sur la photo pour l'agrandir)


Sur les berges du Tarn, les courtines sont arasées et transformées en promenoir alors que l'ancienne place d'armes, devenue inutile, est agencée en d'agréables jardins à la française.

L'intérieur du Palais de la Berbie a été aménagé pour accueillir un musée qui conserve la plus importante collection des oeuvres de Toulouse-Lautrec, inaugurée en 1922.


Texte tiré de « Vingt siècles d'histoire : Albi et les albigeois »
sous la direction de Henri Bru - Éditions Grand Sud, 2003.


Palais de la Berbie : entrée du musée TL et accès aux jardins...
Palais de la Berbie : entrée du musée Toulouse-Lautrec et accès aux jardins...
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Cathédrale et Palais de la Berbie - Berges du Tarn
Cathédrale et Palais de la Berbie - Berges du Tarn
(Cliquez sur la photo pour l'agrandir)


Photos par PetitChap... sauf la première, of course...


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vendredi 20 mars 2009

Le printemps est de retour...



Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) - L'Hiver, 1563 - Musée du Louvre


Rondeau de printemps

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d'argent, d'orfaverie,
Chascun s'abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau !
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderies,
De soleil luisant, clair et beau.

Il n'y a bête ni oiseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau !

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
Chacun s'habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.


Rondeaux, Charles d'Orléans (1394-1465)


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mardi 17 mars 2009

Les fleurs sont périssables...


En attendant la suite, on se lave les oreilles à grands coups de Jacques Brel... Les bonbons version 1964, puis Les bonbons version 1967 :



... Les bonbons ...

Je vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c'est périssable
Puis les bonbons c'est tellement bon
Bien que les fleurs soient plus présentables
Surtout quand elles sont en boutons
Mais je vous ai apporté des bonbons

J'espère qu'on pourra se promener
Que Madame votre mère ne dira rien
On ira voir passer les trains
À huit heures moi je vous ramènerai
Quel beau dimanche pour la saison
Je vous ai apporté des bonbons

Si vous saviez ce que je suis fier
De vous voir pendue à mon bras
Les gens me regardent de travers
Y en a même qui rient derrière moi
Le monde est plein de polissons
Je vous ai apporté des bonbons

Oh ! oui ! Germaine est moins bien que vous
Oh oui ! Germaine elle est moins belle
C'est vrai que Germaine a des cheveux roux
C'est vrai que Germaine elle est cruelle
Ça vous avez mille fois raison
Je vous ai apporté des bonbons

Et nous voilà sur la grand'place
Sur le kiosque on joue Mozart
Mais dites-moi que c'est par hasard
Qu'il y a là votre ami Léon
Si vous voulez que je cède la place
J'avais apporté des bonbons

Mais bonjour Mademoiselle Germaine

Je vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c'est périssable
Puis les bonbons c'est tellement bon
Bien que les fleurs soient plus présentables.

© Éditions musicales Pouchenel - Bruxelles, 1964



... Les bonbons 67...

Je viens rechercher mes bonbons
Vois-tu Germaine j'ai eu trop mal
Quand tu m'as fait cette réflexion
Au sujet de mes cheveux longs
C'est la rupture bête et brutale
Je viens rechercher mes bonbons

Maintenant je suis un autre garçon
J'habite à l'hôtel Georges-V
J'ai perdu l'accent bruxellois
D'ailleurs plus personne n'a cet accent-là
Sauf Brel à la télévision
Je viens rechercher mes bonbons

Quand père m'agace, moi
Je lui fais zop
Je traite ma mère de névropathe
Faut dire que père est vachement bath
Alors que mère est un peu snob
Mais enfin, tout ça hein c'est le conflit des générations
Je viens rechercher mes bonbons

Et tous les samedis soir que je peux
Germaine j'écoute pousser mes cheveux
Je fais « glouglou », je fais « miam miam »
Je défile criant Paix au Vietnam
Parce qu'enfin j'ai mes opinions
Je viens rechercher mes bonbons

Oh, mais ça
C'est votre jeune frère, Mademoiselle Germaine
C'est celui qu'est flamingant
Je vous ai apporté des bonbons...

© Éditions musicales Pouchenel - Bruxelles, 1967


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vendredi 13 mars 2009

Des aiguilles ou des épingles...?



Bouquet d'épingles...


« Le Petit chaperon rouge ?! Mais bien sûr que je connais ! Tout le monde connaît ce conte pour enfants... » Une fillette tout de rouge vêtue doit aller porter une galette et un petit pot de beurre à sa vieille mamie. Elle doit traverser la forêt, et sa gentille maman (qui est quand même suffisamment stupide pour laisser partir sa naïve de gamine toute seule) la met bien en garde contre ce grand con de méchant loup... Voilà donc la jeune pucelle qui s'en va, le coeur léger et le pas dansant... Mais ce qui devait arriver arriva : elle tombe sur ce fourbe de méchant loup qui, sous un air de conversation gentillette, arrive à lui soutirer l'adresse de l'ailleule. La pauvre gamine, qui n'a toujours pas senti le danger, traine en chemin... Elle se permet même de faire quelques bouquets de fleurs, la malheureuse ! La suite, tout le monde la connaît : le loup arrive chez la vieille femme avant la jeunette, dévore mamie et, à la faveur d'un super déguisement et d'un échange questions/réponses hallucinant, il bouffe également la jeune naïve. Suivant les versions, soit l'histoire s'arrête là, soit un brave chasseur passe par là et libère les deux dévorées qui se portent alors comme un charme (comme des charmes ?!).

Bon.

Mais est-ce vraiment tout ? Je ne pense pas... Parce que figurez-vous que dans les versions orales — versions lamentablement méconnues —, lorsque la fillette — qui n'est d'ailleurs pas affublée de ce très fameux vêtement rouge — rencontre le loup, celui-ci lui demande de choisir le chemin qu'elle préfère prendre pour aller jusqu'à la maison de la mamie : le chemin des épingles ou le chemin des aiguilles.

Ainsi, dans la version du Velay :
La petite prend le fromage et la pompette. Elle passa dans le bois, rencontra le loup qui lui dit :
- Où vas-tu, ma petite ?
- Je m’en vais vers ma mère. Moi j’ai fini mon gage.
- T’ont payée ?
- Oui, m’ont payée, m’ont donné encore une petite pompette, m’ont donné un fromage.
- De quel côté passes-tu pour t’en aller ?
- Je passe du côté de les épingles, et vous, de quel côté passez-vous ?
- Je passe du côté de les aiguilles.
Ou encore, dans la version nivernaise :
Voilà la petite fille partie. A la croisée de deux chemins, elle rencontre le bzou qui lui dit :
- Où vas-tu ?
- Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
- Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Épingles?
- Celui des Aiguilles, dit la petite fille.
- Eh bien ! moi, je prends celui des Épingles.
Alors quelle est donc cette histoire d'aiguilles ou d'épingles...? Ni Perrault, ni les frères Grimm ne l'ont reprise dans leurs versions, si bien qu'elle est quasiment tombée dans l'oubli. Certains (Paul Delarue et Marc Soriano, par exemple) ont imaginé qu'il ne s'agissait que d'une anecdote, d'un petit jeu posé là pour amuser les enfants. Yvonne Verdier, elle, voit les choses sous un autre angle... Et bien que je sois immensément éloignée de son niveau de connaissance dans ce domaine, je partage son point de vue...

Les aiguilles et les épingles ont une symbolique forte, en réalité. Dans la société paysane du XIXème siècle*, les jeunes filles étaient envoyées chez la couturière l'hiver de leurs 15 ans. C'était une sorte d'apprentissage de la vie. Il ne s'agissait pas tant d'apprendre à "travailler", à coudre, d'apprendre à utiliser les aiguilles, que de se "dégrossir", de s'affiner, d'apprendre à se parer ; ce que la couturière appelait : « Ramasser les épingles ». En clair, entrer chez la couturière, aller « ramasser les épingles », signifiait que la fillette n'était justement plus une fillette, mais qu'elle entrait dans la cour des grandes. Elle accédait à la vie de "jeune fille", elle avait alors la permission d'aller danser, elle avait le droit d'être courtisée et d'avoir des amoureux... Il semble d'ailleurs que les épingles soient un des symboles de la drague et de l'amour... En effet, dans certaines régions françaises (en Provence si mes souvenirs sont bons), les garçons faisaient la cour aux filles en leur offrant des épingles par douzaines ; les filles s'assuraient un amoureux en lançant des épingles dans les fontaines... De plus, c'est vers 14-15 ans que les jeunes filles commençaient à cacher leurs cheveux sous des coiffes truffées d'épingles. Cet objet était donc un symbole fort d'une première brèche à leur "innocence". Enfin, les épingles se rapportent, semble-t-il, à la menstruation de la "jeune fille", mais j'avoue avoir un peu moins bien intégré cette symbolique.

Les aiguilles, elles, ont une symbolique de travail. Dans une version recueillie dans les Alpes (version que je n'arrive pas à trouver dans son intégralité), la jeune fille choisit de prendre le chemin des aiguilles, et elle explique son choix : c'est « pour raccommoder [sa] robe qui est trouée ». Dans une autre version, choisissant toujours ce chemin, elle l'explique ainsi : « Je vais prendre le chemin des aiguilles. Je vais en ramasser, de celles qui auront de gros trous, pour ma grand-mère qui ne voit plus clair ». On peut même voir un parallèle entre ce cadeau d'aiguilles, et les "bouquets" d'épingles que les garçons provençaux offraient aux jeunes filles. Dans les deux cas, les aiguilles et les épingles sont offertes...

D'autre part, les aiguilles à chas avaient (/ont) une large connotation sexuelle... Pas la peine de vous faire un dessin... et de toute façon, je ne sais pas dessiner !! Les couturières avaient des expressions ou des dictons reprenant le terme "aiguille" et renvoyant au sexe : « Avoir du fil à l'aiguille », ou encore « Couturière mariée, aiguille échassée »... Et le jeu d'« enfile-aiguille » joué par les femmes au Mardi Gras dans le Berry était accompagné de couplets obscènes.

Enfin, la petite phrase « Je vais prendre le chemin des aiguilles. Je vais en ramasser, de celles qui auront de gros trous, pour ma grand-mère qui ne voit plus clair » peut être prise pour ce qu'elle paraît être (une vieille femme n'y devient myope comme une taupe), mais elle peut aussi être prise dans un tout autre sens. En effet, dans la tradition rurale, voir c'est avoir ses règles, et ne plus voir, c'est ne plus les avoir.

Le motif du chemin des épingles ou des aiguilles s'éclaire donc un peu et pourrait être résumé ainsi : une fille prend le chemin des épingles, elle s'engage sur le chemin de sa puberté ; à l'opposé se trouve une grand-mère qui est déjà passée par là et qui en est aux aiguilles, au travail... aux aiguilles qui ont beaucoup servies et même aux aiguilles à gros chas parce qu'elle n'y voit plus très clair... Elle est ménopausée.

L'histoire de cette fillette, dans les versions orales, est bien plus claire que les versions du Petit Chaperon rouge que l'on connaît de nos jours. Il s'agit tout simplement de raconter de façon un peu imaginée mais pourtant limpide pour ces sociétés rurales, l'histoire des femmes ; ces contes, quelques que soient les versions, nous montrent simplement une fillette qui s'engage sur le chemin de la puberté et qui va vers sa grand-mère qui est ménopausée. Elle s'engage dans sa vie de femme... C'est simplement une sorte de conte initiatique ; elle va être confrontée à certains dangers — le loup, par exemple — sans lesquels elle ne pourra pas devenir pleinement une femme.

Perrault et Grimm n'ont pas introduit ces motifs dans leurs versions, mais en poussant un peu, on peut tout de même trouver quelques traces de l'accession de la fillette à la puberté : Perrault a introduit le "chaperon rouge", vêtement qui n'est présent dans aucune version orale. Il n'est pas bien compliqué de faire un lien entre la couleur du vêtement et les menstruations. Pour ce qui est de la version des frères Grimm, la fillette ramasse des fleurs en chemin, juste après avoir rencontré le loup. Et il est courant de dire d'une jeune fille pubère qu'elle est "en fleurs"...

J'adore cette histoire de chemin des aiguilles ou de chemin des épingles. Elle m'a fascinée un bon moment, je ne la comprenais pas complètement. Elle me semble limpide à présent... Peut-être comprendrez-vous mieux le nom de ce blog, maintenant...!


*****


* Oui, vous allez me dire que Perrault était déjà largement mort au XIXème siècle et que par conséquent, ces versions orales sont un dérivé de la version de Perrault. Oui et non... Les contes évoluent perpétuellement, ils s'adaptent à leur époque et à ce qu'ils veulent raconter ou dénoncer sous leur apparence gentillette d'histoire pour enfants. On est en droit d'imaginer que les aiguilles et les épingles avaient une symbolique similaire dans les mentalités paysanes durant plusieurs siècles. D'autre part, les contes étant principalement de tradition orale, il est facile d'imaginer qu'ils ont eu une évolution "parallèle" aux versions écrites. Les sociétés paysanes n'avaient pas forcément accès aux écrits, les contes se transmettaient de génération en génération, de façon orale. Perrault a "intellectualisé" les contes, il les a couché sur papier. Mais il semble qu'il n'entendait pas toutes les symboliques de ces "historiettes". Il me parait donc complètement évident que les versions orales qui se racontaient au XIXème siècle dérivaient directement des versions orales des siècles antérieurs, et non des versions écrites.


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lundi 9 mars 2009

L'année de l'homme reprend ses droits



Femmes - Cabaret du Chat Noir - Musée d'Orsay


« Profite bien de cette journée [8 mars], ma chérie...
parce que dès demain, l'année de l'homme reprend ses droits !
»


La Journée de la femme est très certainement une bonne idée, mais à quoi sert-elle vraiment ? Si vous vous êtes un peu promenés sur Internet hier, ou si vous avez regardé la télévision ou écouté la radio, vous n'avez pas pu échapper à cette journée-événement...

Elle a été l'occasion de faire un petit retour sur des événements majeurs de l'histoire des femmes en France (droit de vote, IVG, possibilité d'"entrer en politique", etc.)... Mais qui a regardé ces reportages ? La Journée de la femme est bien trop souvent synonyme de « Ah ben aujourd'hui, je ne prépare pas le repas, je ne fais pas la vaisselle, et je ne fais certainement pas le ménage ! » ; Monsieur est largement invité à offrir un bouquet de fleurs à sa chère et tendre... avant certainement de lui donner un orgasme... Oui, aujourd'hui Monsieur est invité à penser au plaisir de Madame. La Journée de la femme est en train de devenir une activité lucrative au moins aussi inutile que la fête des grands-mères...

Je ne peux pas m'empêcher de penser que la Journée de la femme n'est qu'une date sur un calendrier, exactement comme la journée contre le SIDA, la journée pour la lutte contre le cancer... la journée contre la disparition des pandas ou que sais-je encore.

Alors bon... Tentons de lui trouver quand même quelques points favorables. Il est vrai que cette journée est l'occasion de se pencher sur le sort de toutes les femmes opprimées, en France et partout ailleurs dans le monde. Mais cela signifie-t-il que nous ne devons pas y penser quotidiennement...? Que deviennent-elles le reste de l'année ? J'imagine que cette journée a été instaurée avec les meilleures intentions du monde, mais elle me parait tellement dégradante... Un peu comme si les femmes étaient des bêtes étranges, limite en voie de disparition... « Pensons à elles le temps d'une journée... Ça leur fera plaisir... ». Voilà comment je ressens cette journée.

Pourquoi n'existe-t-il pas une Journée de l'homme ? Ou une Journée des vieux ? Ou une Journée des chômeurs ? Ou une Journée des personnes opprimées par la guerre ? Ou une Journée des personnes qui crèvent la dalle ? Ou une Journée des blondes outrées des blagues faites à leur encontre ? Ou une Journée des marseillais qui vivent à Bordeaux ?!

Il y a encore beaucoup à faire en faveur des femmes au sein de la société, mais je reste persuadée que cette journée du 8 mars ne sert à rien. Et puis c'est exactement comme la Saint-Valentin : celui qui attend ce jour précis pour montrer son amour à sa Belle est un crétin... Celui qui attend la Journée de la femme pour porter un peu d'attention au Beau Sexe est pire que crétin...

...Allez donc lire cet article...


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dimanche 8 mars 2009

Le poème des Poèmes...


Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques I, 1960
Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques I, 1960
Huile sur papier, marouflé sur toile

Que tu es belle, mon amie, que tu es belle!
Tes yeux sont des colombes, derrière ton voile.
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres,
Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad.

Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues,
Qui remontent de l'abreuvoir;
Toutes portent des jumeaux,
Aucune d'elles n'est stérile.

Tes lèvres sont comme un fil cramoisi,
Et ta bouche est charmante;
Ta joue est comme une moitié de grenade,
Derrière ton voile.
Ton cou est comme la tour de David,
Bâtie pour être un arsenal;
Mille boucliers y sont suspendus,
Tous les boucliers des héros.

Tes deux seins sont comme deux faons,
Comme les jumeaux d'une gazelle,
Qui paissent au milieu des lis.

Avant que le jour se rafraîchisse,
Et que les ombres fuient,
J'irai à la montagne de la myrrhe
Et à la colline de l'encens.

Tu es toute belle, mon amie,
Et il n'y a point en toi de défaut.

Viens avec moi du Liban, ma fiancée,
Viens avec moi du Liban!
Regarde du sommet de l'Amana,
Du sommet du Senir et de l'Hermon,
Des tanières des lions,
Des montagnes des léopards.

Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques II, 1957
Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques II, 1957
Huile sur papier, marouflé sur toile

Tu me ravis le coeur, ma soeur, ma fiancée,
Tu me ravis le coeur par l'un de tes regards,
Par l'un des colliers de ton cou.

Que de charmes dans ton amour, ma soeur, ma fiancée!
Comme ton amour vaut mieux que le vin,
Et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates!

Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée;
Il y a sous ta langue du miel et du lait,
Et l'odeur de tes vêtements est comme l'odeur du Liban.

Tu es un jardin fermé, ma soeur, ma fiancée,
Une source fermée, une fontaine scellée.

Tes jets forment un jardin, où sont des grenadiers,
Avec les fruits les plus excellents,
Les troënes avec le nard;

Le nard et le safran, le roseau aromatique et le cinnamome,
Avec tous les arbres qui donnent l'encens;
La myrrhe et l'aloès,
Avec tous les principaux aromates;

Une fontaine des jardins,
Une source d'eaux vives,
Des ruisseaux du Liban.

Lève-toi, aquilon! viens, autan!
Soufflez sur mon jardin, et que les parfums s'en exhalent!
- Que mon bien-aimé entre dans son jardin,
Et qu'il mange de ses fruits excellents!
-

Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques III, 1960
Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques III, 1960
Huile sur papier, marouflé sur toile



J'entre dans mon jardin, ma soeur, ma fiancée;
Je cueille ma myrrhe avec mes aromates,
Je mange mon rayon de miel avec mon miel,
Je bois mon vin avec mon lait...
- Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d'amour! -

J'étais endormie, mais mon coeur veillait...
C'est la voix de mon bien-aimé, qui frappe:
- Ouvre-moi, ma soeur, mon amie, Ma colombe, ma parfaite!
Car ma tête est couverte de rosée,
Mes boucles sont pleines des gouttes de la nuit.
-

J'ai ôté ma tunique; comment la remettrais-je?
J'ai lavé mes pieds; comment les salirais-je?

Mon bien-aimé a passé la main par la fenêtre,
Et mes entrailles se sont émues pour lui.

Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé;
Et de mes mains a dégoutté la myrrhe,
De mes doigts, la myrrhe répandue
Sur la poignée du verrou.

J'ai ouvert à mon bien-aimé;
Mais mon bien-aimé s'en était allé, il avait disparu.
J'étais hors de moi, quand il me parlait.
Je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé;
Je l'ai appelé, et il ne m'a point répondu.

Les gardes qui font la ronde dans la ville m'ont rencontrée;
Ils m'ont frappée, ils m'ont blessée;
Ils m'ont enlevé mon voile, les gardes des murs.

Je vous en conjure, filles de Jérusalem,
Si vous trouvez mon bien-aimé,
Que lui direz-vous?...
Que je suis malade d'amour.

Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques IV, 1960
Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques IV, 1960
Huile sur papier, marouflé sur toile

Qu'a ton bien-aimé de plus qu'un autre,
O la plus belle des femmes?
Qu'a ton bien-aimé de plus qu'un autre,
Pour que tu nous conjures ainsi?

Mon bien-aimé est blanc et vermeil;
Il se distingue entre dix mille.

Sa tête est de l'or pur;
Ses boucles sont flottantes,
Noires comme le corbeau.

Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux,
Se baignant dans le lait,
Reposant au sein de l'abondance.

Ses joues sont comme un parterre d'aromates,
Une couche de plantes odorantes;
Ses lèvres sont des lis,
D'où découle la myrrhe.

Ses mains sont des anneaux d'or,
Garnis de chrysolithes;
Son corps est de l'ivoire poli,
Couvert de saphirs;

Ses jambes sont des colonnes de marbre blanc,
Posées sur des bases d'or pur.
Son aspect est comme le Liban,
Distingué comme les cèdres.

Son palais n'est que douceur,
Et toute sa personne est pleine de charme.
Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami,
Filles de Jérusalem!


Cantique des cantiques - (Cantiques 4 et 5)

Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques V, 1965-1966
Marc Chagall - Le Cantique des Cantiques V, 1965-1966
Huile sur papier, marouflé sur toile


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jeudi 5 mars 2009

Les femmes qui lisent sont dangereuses - 2


Vittorio Matteo Corcos - Rêves, 1896
Vittorio Matteo Corcos - Rêves, 1896


PROJET

D'UNE

LOI

PORTANT DÉFENSE

D'APPRENDRE À LIRE AUX FEMMES

Par S**-M***



À PARIS,

Chez MASSE, Éditeur, rue Helvétius, nº. 580.




AN IX. 1801.








Considérant :

51º. Qu'une femme peut se passer de savoir lire, pour savoir vivre, pour être polie et prévenante envers les étrangers, pour faire les honneurs d'une table, pour être l'ame d'une fête, pour donner un sage avis dans une assemblée de famille, pour calmer les emportemens d'un mari, pour ramener à la sagesse un fils égaré, ou une fille surprise par un suborneur, etc. etc.

Considérant :

52º. Combien les femmes deviennent négligentes, paresseuses, hautaines, exigeantes, acariâtres, peu soumises, pour peu qu'elles sachent lire et écrire; combien est insoutenable celle qui vise à l'esprit ou au savoir, celle qui parle comme un livre.
(Voyez le 6e. Considérant.)

Considérant :

53º. Que depuis qu'on rencontre dans toutes les professions, des femmes qui savent lire, la nourrice fait jeûner son nourrisson; la marchande néglige son comptoir, et la cuisinière son service; l'ouvrière commence plus tard et finit plus tôt sa journée; la coëffeuse distraite brûle la blonde chevelure de sa dame; la garde-malade et l'épicière-droguiste tuent leurs malades par des qui-pro-quo; et la jeune fille devenue raisonneuse, dit que sa maman radote, et traite son papa de bon-homme.

Considérant :

54º. Que si jamais les femmes n'avaient su lire, ni écrire.... Juvénal, Molière et Boileau ne se seraient point armés contre elles des verges de la satyre.

Considérant :

55º. Que si jamais les femmes n'avaient osé porter la main à l'arbre de la science, Salomon ou St.-Paul n'aurait jamais trouvé de motifs pour parler d'elles en ces termes:
Melior est iniquitas viri, quam mulier benefaciens.

Considérant :

56º. Que le sage Salomon qualifie de Femme forte, non pas la femme esprit fort, ou bel esprit, «mais celle qui employe avec intelligence le lin et la laine, tourne le fuseau, et donne par année deux paires d'habits à ses serviteurs des deux sexes.»
(Ce sont les propres termes de la Sainte Bible.)

Considérant :

57º. Que dire son chapelet est aussi méritoire devant Dieu que de lire son office du matin et de l'après-midi.

Considérant :

58º. Que dans les premiers tems, la lecture de la Bible, elle-même, était interdite aux Juives; c'est pour cela qu'on ne leur apprenait point à lire.
La sage Noëmi et sa fille, la touchante Ruth ne savaient point lire; Ruth dut la main de Booz à son aimable ignorance.

Considérant :

59º. Que la fille d'Œdipe, la sensible Antigone, n'eut pas besoin d'apprendre à lire, pour devenir le chef-d'œuvre de la piété filiale: à sa place, la savante Sapho n'eût probablement pas été la compagne aussi assidue, aussi imperturbable de son malheureux père.

Considérant :

60º. Que Sapho eût conservé sa réputation, si elle n'eût jamais su écrire: du moins on n'aurait jamais parlé d'elle, au grand scandale de son sexe.


Jean-Baptiste-Camille Corot - La lecture interrompue, 1870
Jean-Baptiste-Camille Corot - La lecture interrompue, 1870


Considérant :

61º. Que les femmes-beaux-esprits consentiraient difficilement à suivre l'exemple de la jeune Erinne: cette contemporaine de Sapho, mais plus sage, pour ne point fâcher sa mère, ne se permit de composer qu'un seul poëme dont le sujet était l'éloge de la Quenouille.

Considérant :

62º. Que chez les sages Égyptiens, sur les bords du Nil, on ne voyait pas, comme sur les rives de la Seine, les femmes sortir de leurs maisons et quitter le berceau de leurs enfans, pour aller apprendre à lire à l'école d'un pédant ex-moine.

Considérant :

63º. Que les Amazones (dont pourtant il faut blâmer et repousser l'institution martiale, si étrangère aux mœurs naturelles des femmes), les Amazones qui étonnèrent les héros de leur tems par une bravoure égale à la leur, ne savaient pas lire.

Considérant :

64º. Que les Vierges Lacédémoniennes, dans des ballets décens, savaient enflammer le courage des jeunes Spartiates, et ne savaient pas lire.

Considérant :

65º. Que parmi les occupations des femmes des héros de l'antiquité, on leur recommandait, avant tout, de faire de la toile.
Dans Homère, elles mettent leur vanité, non pas à savoir lire ou écrire, mais bien à filer.
Théocrite, pour donner une haute idée de la belle Hélène, dit qu'elle filait mieux que toutes ses femmes.

Considérant :

66º. Que Pénélope si fidèle à son mari-voyageur, savait, en tissant, jour et nuit, repousser les amans qui l'assiégeaient, et ne savait pas lire.

Considérant :

67º. Qu'Andromaque, l'épouse du vaillant Hector, si touchante dans Homère, quand elle fait ses adieux au héros son époux, ne savait pas lire.

Considérant :

68º. Que la princesse Nasicaa, la fille du roi Alcinoüs, lavait, elle-même, les habits de son père, et ne savait pas lire.
Si elle avait su tenir la plume, peut-être que la princesse royale eut dédaigné de lever le battoir.

Considérant :

69º. Que les Sabines n'eurent pas besoin de savoir lire, pour reconcilier sur le champ de bataille, les deux peuples féroces auxquels elles appartenaient par le sang et par l'hymenée.


Félix Vallotton - La lecture abandonnée, 1924
Félix Vallotton - La lecture abandonnée, 1924


Considérant :

70º. Que la chaste Lucrèce, qui se poignarda pour ne point survivre au déshonneur du lit conjugal, ne savait pas lire.
Les fils de Tarquin la trouvèrent chez elle, et bien avant la nuit, occupée au milieu de ses femmes, à travailler, de ses mains, à des ouvrages de laine.

Considérant :

71º. Qu'Horace, pour ramener aux devoirs de leur sexe les dames de Rome, leur propose les Sabines, excellentes ménagères qui ne savaient pas lire.

Considérant :

72º. Que cette romaine qui allaita sa mère condamnée à périr de faim dans un cachot, ne savait pas lire: «c'était une femme du peuple, humilis in plebe,» dit Pline le naturaliste.
Le sénat romain lui décerna une statue; les mêmes honneurs ne furent point rendus à Sulpicie, faiseuse de satyres.

Considérant :

73º. Que, quand l'Ange Gabriel descendit du firmament, pour annoncer à Marie, (l'épouse de St.-Joseph) la conception d'un Dieu dans ses flancs virginaux, Gabriel ne surprit point la bonne vierge faisant une lecture; elle réparait les chausses de son époux, car son ignorance avait trouvé grace devant le St.-Esprit.

Considérant :

74º. Que Mahomet, qui aimait tant les femmes, ne voulait point qu'elles sçussent lire; plus sage en cela que son malheureux prédécesseur; (voyez l'évangile des deux sœurs Marthe et Marie, selon St.-Luc, chap. X, verset 38.)
Les épouses de Mahomet, et la célèbre Fatime, sa fille, ne savaient pas lire.
Il n'est pas même bien prouvé que Mahomet lui-même sçut lire. Son ignorance n'empêcha pas qu'il ne devînt le fondateur d'une grande religion.

Considérant :

75º. Que la reine Zénobie, moins savante, eût été moins ambitieuse, et par conséquent n'eût jamais consenti qu'on assassinât son époux.

Considérant :

76º. Que nos Gauloises, toujours consultées utilement par nos bons ayeux dans les affaires les plus délicates, les plus épineuses, ne savaient pas lire.

Considérant :

77º. Que Charlemagne, qui le premier, en France, ouvrit des écoles, en législateur profond n'y apella point les femmes. Et cet Empereur-roi prêcha d'exemple: il ne donna à ses filles d'autre éducation que celle de coudre et de filer.

Considérant :

78º. Que dans les siècles brillans de la chevalerie, époque si honorable et si glorieuse pour les femmes, elles n'avaient pas besoin d'apprendre à lire pour inspirer les braves: il suffisait de leur beauté et de leur vertu.


Alfred Stevens - Rêverie, 1854
Alfred Stevens - Rêverie, 1854


Considérant :

79º. Que Jeanne d'Arc sçut bien délivrer la France, sans savoir lire.

Considérant :

80º. Qu'avant cette héroïne, la bergère de Nanterre qui sauva Paris en trouvant grace devant Attila, Géneviève ne savait pas lire; quoiqu'un peintre niais l'ait représentée gardant ses moutons, l'évangile à la main.

Considérant :

81º. Que plusieurs d'entre les reines de France ne savaient pas lire; et ce ne furent pas les plus intriguantes.
Madame de Maintenon qui avait des prétentions au savoir et à la politique, rapetissa, comme on sait, le génie de Louis le Grand, et compromit le salut de l'État.

Considérant :

82º. Que le cardinal de Retz, un jour, se désista d'une criminelle attaque, vaincu par les larmes d'une villageoise vertueuse; le prélat n'eût peut-être pas même eu de combat à soutenir avec une fille lettrée.

Considérant :

83º. Que l'amour de la science n'a pas la vertu de refréner les passions; témoin Christine, reine de Suéde qui fit assassiner son amant sous ses yeux dans la galerie de Fontainebleau.

Considérant :

84º. Combien la science mal digérée donne de bile.
Antoinette Bourignon, l'une des femmes qui fit le plus de livres, fut par cela même l'une des femmes les plus maussades, les plus difficiles à vivre.

Considérant :

85º. Combien les charmantes lettres de madame de Sévigné, et les poésies gracieuses de madame Deshoulières ont fait de mauvaises copies.

Considérant :

86º. Que la belle Laure, dont les chastes appas firent tant d'impression sur le cœur de Pétrarque, et qui nous valut tant de beaux vers de ce poëte sensible, ne savait pas les lire.
«C'était, disent les historiens du tems et du pays, une pastourelle naïve, qui ne savait que garder un troupeau.»

Considérant :

87º. Que la belle et riche Marguerite Sarrochia, dame de Naples, aurait pu vivre longuement et être honorée de ses compatriotes: quelques talens en littérature lui inspirèrent tant de vanité qu'elle mourut jeune, flétrie par le chagrin, et chargée du mépris public.


Balthus - Portrait de Femme en Robe Bleue, 1935
Balthus - Portrait de Femme en Robe Bleue, 1935


Considérant :

88º. Que si miladi Montaigue, l'épouse de l'ambassadeur anglais à Constantinople, n'eût sçu ni lire ni écrire, elle n'eût point dégradé les lettres en repoussant d'un style de corps-de-garde, l'imputation vraisemblable que lui fit Pope d'avoir reçu les honneurs du mouchoir dans la caserne des Janissaires.
Nous compterions un recueil de lettres curieuses de moins, et une femme estimable de plus.

Considérant :

89º. Que les Américaines du midi portent seules tout le poids du ménage, et accouchent sans douleur; elles seraient moins robustes, moins saines, moins laborieuses, si elles savaient lire.
Il est prouvé que les Femmes-Auteurs sont moins fécondes que les autres.
L'exemple de Sainte-Brigitte, mère de douze enfans et auteur de douze volumes, ne prouve rien: l'exemple d'une sainte n'est qu'une exception.

Considérant :

90º. Combien il est choquant dans le langage ainsi qu'en morale, d'être obligé de donner aux femmes des qualifications masculines, telles que Mademoiselle est auteur, Madame est amateur, ou bien:
Les femmes Beaux Esprits, n'ont pas un bon esprit.
S.....

Cette dissonnance grammaticale tend à prouver que les femmes semblent abjurer leur sexe, quand elles exercent les professions que ces mots désignent.

Considérant :

91º. D'ailleurs, qu'empêcher les femmes d'apprendre à lire, c'est un grand pas de fait pour arrêter la multiplication des livres, et pour opérer une salutaire réforme dans la littérature tombée en quenouille.

Considérant :

92º. Ce que les auteurs de la Galerie universelle des Hommes Illustres placent dans la bouche de Voltaire:
«Du moment que le sexe, né pour plaire, eut la prétention de vouloir instruire, la morale et la littérature allèrent en décadence.»
(Galerie Universelle, in-4º.)

Considérant :

93º. Combien l'esprit naturel des femmes qui ne demande point à être cultivé, baisse de son prix, pour peu que l'art en approche.
Qui ne préfère, aux airs factices du serin, au jargon étudié de la pie ou du perroquet, le chant libre et sans apprêt du rossignol?

Considérant :

94º. Qu'il n'est pas très-nécessaire aux femmes d'apprendre l'A, B, C, pour se former le jugement; puisque Molière se trouvait bien de consulter sa servante, laquelle ne savait pas lire.
Malherbe aussi prenait l'avis de sa ménagère.

Considérant :

95º. Que dans les campagnes, beaucoup de fermières intelligentes gouvernent elles-mêmes l'intérieur et le dehors de la ferme, sans savoir lire.

Considérant :

96º. Qu'une jardinière qui ne sait pas lire, mais qui dans chaque saison fait éclore les fleurs les plus brillantes, est préférable à ces dames occupées matin et soir de l'assortiment de leurs pensées.


Vincent Van Gogh - L'Arlésienne (Madame Ginoux), 1888
Vincent Van Gogh - L'Arlésienne (Madame Ginoux), 1888


Considérant :

97º. Que les femmes insisteraient en vain sur la nécessité d'apprendre à lire, puisque Duguesclin lui-même, connétable de France, et le plus grand homme de son siècle, ne savait ni lire, ni écrire.
(V. Mém. sur l'anc. chevalerie, par Ste. Palaye, in-4º.)

Considérant :

98º. Que les femmes douées d'un bon esprit seront les premières à consentir la présente loi, quand elles en auront pesé les motifs dans leur sagesse, et dans l'intérêt qu'elles inspirent. Elles verront dans cette mesure urgente et nécessaire, non pas une extension du despotisme viril, mais bien plutôt un rappel à la raison.

Considérant :

99º. Ce proverbe hébreu:
«Toute l'habileté d'une femme est dans sa quenouille.» — et ce proverbe français:
«Femme sage
Reste à son ménage.»

Considérant :

100º. Ce qu'on lit dans Aristote:
«La femme ne doit penser qu'à la conservation de ce qui se trouve dans l'intérieur de la maison.»
(Les Économiques.)

Considérant :

101º. La solidité de ces paroles de Fénélon:
«Les filles qui ont de l'esprit s'érigent souvent en savantes et en précieuses; elles lisent tous les livres qui peuvent nourrir leur vanité, et se remplissant l'esprit de je ne sais quelles idées chimériques, elles se gâtent même par là pour le monde.»
(Éducation des Filles. 1687.)

Considérant :

102º. Le grand sens renfermé dans ces paroles du P. Mallebranche:
«C'est aux femmes à décider des modes, à discerner le bon air et les belles manières; elles ont plus de science, d'habileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout ce qui dépend du goût est de leur ressort; mais.... etc.»
(Recherche de la vérité.)

Considérant :

103º. Ce passage considérable de la première Encyclopédie:
«On pourrait douter si l'étude des lettres ne coûte point aux femmes un peu d'innocence.»
(Art. Femmes, in-fº.)

Considérant :

104º. Que Desmathis a dit, d'après les anciens:
«La gloire d'une femme est de vivre ignorée»—et de rester ignorante, aurait dû ajouter Desmathis, pour dire tout ce qu'il pensait.

Considérant :

105º. De quel poids est cette autre citation de Michel Montaigne:
«La plus utile, la plus honorable science d'une mère de famille est la science du ménage.»
«Si les bien nées (les dames) me croyent, elles se contenteront de faire valoir leurs propres et naturelles richesses..... Que leur faut-il, que vivre aimées et honorées? Elles n'ont et ne savent que trop pour cela.»
(Essais. III. 3.)


François Boucher - Madame de Pompadour, 1756
François Boucher - Madame de Pompadour, 1756


Considérant :

106º. Ce qu'a dit Balzac:
«J'aimerais mieux avoir une femme qui eût de la barbe, qu'une femme qui eut du savoir.»

Considérant :

107º. La valeur de ce mot de S.-Evremont:
«On se défend d'une savante, mais on ne se défend point d'une femme: on a quelqu'estime sèche et stérile pour la capacité de l'une; mais le cœur s'allume pour les agrémens de l'autre.»
(S.-Evremoniana.)
«....À Paris, il y a des femmes qui écrivent et qui font des livres; les plus sages font des enfans.»
(Idem. p. 388.)

Considérant :

108º. En outre l'autorité de ce passage, tiré de la Bibliothèque des femmes:
(1759, in-12.)
«Par-tout les lois, en réservant aux hommes la plume et l'épée, ont semblé borner le sexe aux soins du ménage.»

Considérant :

109º. L'autorité plus grave encore de J. J. Rousseau, dans une Note (K) de sa lettre à Dalembert, qu'il serait par trop dur de reproduire ici. Il nous sera plus doux de rapporter la citation suivante du plus éloquent des philosophes:
«Est-il au monde un spectacle aussi touchant, aussi respectable que celui d'une mère de famille entourée de ses enfans, réglant les travaux de ses domestiques, procurant à son mari une vie heureuse et gouvernant sagement sa maison, etc.»

Considérant :

110º. La justesse de ce passage:
«La fluidité du sang et l'agilité des esprits animaux rendent les femmes incapables d'apporter une attention sérieuse à tout ce qui est un peu abstrait; et le dégoût qu'elles sentent pour tout raisonnement suivi, prouve la délicatesse de leur imagination, qui n'a pas la force de soutenir cet effort.»
(Du Bel-Esprit, 1695. Paris.)

Considérant :

111º. Que quelqu'un a dit:
«L'étude et les livres ne servent qu'à rendre une femme insupportable.»
(P. Com.)
Un écrivain plus moderne encore a dit:
«Le défaut du siècle est d'avoir le cœur sec et de tout faire avec l'esprit, défaut particulier aux femmes.»

Considérant :

112º. Ce qu'Homère met dans la bouche de Jupiter s'adressant à Vénus:
«Contentez-vous des jeux, des ris et des appas. Présidez aux amours...»
(Iliade V.)
...Mais n'étudiez pas!
pourrait-on ajouter, en généralisant la citation et en l'appliquant à toutes les femmes.
«Renoncez (dit le continuateur d'Homère) renoncez à un dessein dont l'exécution surpasse vos forces, et reprenez dans l'intérieur de vos maisons et les toiles, et les ouvrages propres à votre sexe.»
(Quintus, de Smyrne, trad. par Tourlet, Ch. I. T. I. in-8º. 1800.)

Considérant :

113º. Enfin la justesse et la convenance de ces bons vers:
Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie et sache plusieurs choses.
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfans,
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,
Et régler sa dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez....
Les leurs ne lisaient point; mais elles vivaient bien;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles;
Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs;
Elles veulent écrire, et devenir auteurs....

Molière.


Ramon Casas y Carbo - Après le bal, 1895
Ramon Casas y Carbo - Après le bal, 1895




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mercredi 4 mars 2009

The Hadopi Song



Hadopi sur wikipédia

...parce que Luc Besson est un âne... parce que Maître Eolas lui répond...


... parce que j'aime Boris Vian...

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