mardi 7 avril 2009

Les femmes qui lisent sont dangereuses - 3



Elliott Erwitt - Marilyn Monroe, 1955


PROJET

D'UNE

LOI

PORTANT DÉFENSE

D'APPRENDRE À LIRE AUX FEMMES

Par S**-M***



À PARIS,

Chez MASSE, Éditeur, rue Helvétius, nº. 580.




AN IX. 1801.








TEXTE DE LA LOI.

EN CONSEQUENCE:


I.

La Raison veut (dut-elle passer pour Vandale) que les femmes (filles, mariées ou veuves) ne mettent jamais le nez dans un livre, jamais la main à la plume.

II.

La Raison veut:
À l'homme, — l'épée et la plume.
À la femme, — l'aiguille et le fuseau.
À l'homme, — la massue d'Hercule.
À la femme, — la quenouille d'Omphale.
À l'homme, — les productions du génie.
À la femme, — les sentimens du cœur.

III.

La Raison veut que chaque sexe soit à sa place, et s'y tienne.

Les choses vont mal, quand les deux sexes empiettent l'un sur l'autre.

La lune et le soleil ne luisent point ensemble.

S...

IV.

La Raison ne veut pas plus que la langue française, qu'une femme soit auteur: ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l'homme seul.

V.

La Raison veut que les sexes diffèrent de talens comme d'habits.

Il est aussi révoltant et scandaleux de voir un homme coudre, que de voir une femme écrire; de voir un homme tresser des cheveux, que de voir une femme tourner des phrases.....

VI.

La Raison maintient ce vieux Proverbe:

«Les paroles sont des femelles, les écrits sont des mâles.»

En ce qu'il semble faire les parts et assigner à chacun des deux sexes le talent qui lui convient.

N. B. Toute la sagesse des nations est dans leurs proverbes.



Joan Bennett reading a book, 1932 --- Image by © Bettmann/CORBIS


VII.

La Raison veut que l'on dispense les
femmes d'apprendre — à lire,
——————————— à écrire,
——————————— à imprimer,
——————————— à graver,
——————————— à scander,
——————————— à solfier,
——————————— à peindre, etc.

Quand elles savent un peu de tout cela, c'est trop ordinairement aux dépens de la science du ménage.

VIII.

La Raison veut donc que la plume à écrire et le pinceau, le crayon et le burin, soient interdits à la main des femmes; l'aiguille à coudre et le fuseau, à la main des hommes.

IX.

La Raison veut que dans les arts du dessin, de la peinture et de la gravure, les femmes ne perdent pas le tems à porter leurs prétentions au-delà de celles de la sensible Dibutade.

Cette jeune beauté de Sycione traça sur la muraille, à la lueur d'une lampe, le pourtour de l'ombre de son jeune ami, obligé de faire un long voyage.

(V. l'Hist. Nat. de Pline, XXXV, 12.)

X.

La Raison et la décence n'approuvent point du tout que de jeunes dessinatrices passent des journées entières à contempler et à copier les belles proportions de l'Apollon du Louvre, ou du Lantin, ou de l'Hercule Farnèse.... etc.

Périssent tous les arts, plutôt que la pudeur!

S....

XI.

La Raison veut que les femmes, dans leurs loisirs, apprennent naturellement à chanter, sans livres et sans maîtres; mais qu'elles ignorent toute leur vie combien il y a de notes dans la musique, de lettres dans l'alphabet, de syllabes dans un vers alexandrin ou pentamètre.

Les femmes sont nées pour être aimables et vertueuses, et non pour devenir des virtuoses et des savantes.

XII.

La Raison veut que les maris soient les seuls livres de leurs femmes; livres vivans, où nuit et jour, elles doivent apprendre à lire leurs destinées.

«Il serait bienséant et honorable (dit un vieux livre) d'ouir une femme qui dirait à son mari: mon ami, tu es mon précepteur, mon maître de philosophie.... etc.»

(Institution de l'homme, 1626. p. 441. in-8º.)

N. B. Une femme bel-esprit et auteur de cinq à six gros livres, vint rendre visite à une mère de trois filles et de trois garçons:

«Voici, dit la mère de famille, (en présentant ses enfans et leur père à la dame-auteur) voici mes productions et ma bibliothèque.»

XIII.

La Raison veut que les femmes sachent leur langue maternelle, seulement:

«C'est une vanité aux femmes (a dit quelqu'un) de parler une langue étrangère.»

(Lettre à une demoiselle., p. 149, in-12. 1737.)



Woman reading on top of ladder, 1920
Image by © Bettmann/CORBIS


XIV.

La Raison veut que l'on fasse grace aux femmes de l'étude aride et sèche de la grammaire; les femmes étant destinées à des occupations plus agréables et moins stériles.

XV.

La Raison veut aussi que l'on dispense les femmes des élémens non moins ingrats de la géographie et de l'histoire; leur mémoire fragile porte mal le fardeau des dates et d'une lourde nomenclature.

Quel inconvénient, d'ailleurs, à ce que les femmes fassent des anachronismes?

XVI.

La Raison veut que les femmes n'apprennent point à lire aux astres: qu'elles comptent les œufs de la basse-cour, et non les étoiles du firmament!

XVII.

La Raison veut que l'on interdise aux femmes la botanique par principes: qu'elles se bornent à la connaissance des plantes potagères et de quelques simples!

XVIII.

La Raison n'approuve pas les femmes qui assistent aux leçons de la chymie: les cuisinières qui ne savent pas lire, sont celles qui font la meilleure soupe.

N. B. Le législateur des femmes espère qu'on lui pardonnera ces menus détails. L'utile avant tout.

«Rien n'est vil dans l'intérieur du domestique, pour une femme sage,» dit un poëte de la Chine.

(V. Mém. Chin. T. IV. p. 179. in-4º.)

XIX.

La Raison souffre de voir les femmes grossir le troupeau des gens de lettres; elles ont assez déjà des infirmités attachées à leur sexe, sans s'exposer encore à celles de cette profession.



Marilyn Monroe at the Ambassador Hotel reading a book on acting, 1955
Image by © Michael Ochs Archives/Corbis


XX.

La Raison veut que le médecin d'une femme de lettres lui ordonne, avant tout, de poser la plume et de renoncer aux livres, à tout jamais.

La nièce de Descartes mourut de la pierre, causée par son obstination à l'étude.

Or, le plus beau livre ne vaut pas une femme saine de corps et d'ame.

XXI.

La Raison veut que l'on dise toujours les trois Graces, mais que l'on ne dise plus les neuf Muses; mythologie injurieuse au sexe, puisqu'elle tend à faire croire que sur douze femmes, on en compte neuf de pédantes, sur trois seulement d'aimables.

«Le goût des lettres chez les femmes, (dit Thomas) a été regardé comme une sorte de pédantisme.»

(Essai sur les Femmes.)

XXII.

La Raison déclare qu'une mère de famille n'a pas besoin de savoir lire, pour bien élever ses filles.

XXIII.

La Raison et la décence veulent qu'une fille reçoive des leçons de sa mère seulement.

L'éducation du sexe n'eut d'abord (dans le tems que Rome était vertueuse) pour objet, que l'économie intérieure de la maison, et les ouvrages que les mères apprenaient elles-mêmes à leurs filles.

(Habitudes et mœurs privées des Romains, in-8º. p. 275 et 276.)

XXIV.

La Raison n'approuve pas ces maisons d'éducation pour les jeunes demoiselles, où on leur apprend tout, excepté la seule chose qu'elles doivent connaître, la science du ménage.

La belle éducation donnée à S.-Cyr aux jeunes filles nobles et pauvres, en faisait des femmes pédantes et hautaines.

XXV.

Il n'y aura plus de maîtresses d'école.*

*N. B. Ceci est emprunté à la 984e. des loix; de Pythagore.

«Ne permettez point à une femme de parler en public, d'ouvrir école, de fonder une secte ou un culte. Une femme en public est toujours déplacée.»

(T. VI. des Voyages de Pythagore.)

Cette qualification a quelque chose de pédantesque.

XXVI.

Les femmes lettrées, artistes, virtuoses,... etc., ne feront plus d'élèves.



André Kertész - Hospice de Beaune, 1929


XXVII.

La Raison veut que lorsqu'on s'occupera d'une loi sur l'adoption, on se donne de garde d'en accorder l'usage aux femmes lettrées, virtuoses,..... etc.

XXVIII.

La Raison veut que toute fille de bonne maison, avant d'obtenir un mari, fasse preuve de talens utiles.

XXVIX.

La Raison veut qu'une jeune vierge, instruite par sa mère aux seules vertus privées, aux seuls détails du ménage, et bien pénétrée de l'amour de ses devoirs et du travail, soit dispensée d'avoir une dot pour avoir un mari.

XXX.

La Raison ne conseille à personne de choisir pour épouse et compagne la fille d'une femme lettrée.

XXXI.

La Raison veut que les épousées ne devant point savoir lire, et par conséquent ne pouvant signer leur contrat de mariage, on se contente de leur consentement verbal devant le magistrat et les témoins.

Une femme bien née ou bien élevée, doit être crue sur sa parole.

XXXII.

La Raison veut que l'on grave sur le frontispice des salles de mariage, l'apophthegme suivant:

Demande.

Quel est l'homme le plus heureux?

Réponse.

L'homme le plus heureux, c'est le mari d'une femme sage sans livres.



Girls sunbathing with paper bags on heads, 1963 --- Image by © Bettmann/CORBIS


XXXIII.

La Raison recommande aux époux ce proverbe Chinois:

«Cultiver la vertu est la science des hommes; renoncer à la science est la vertu des femmes.»

(Mémoires sur la Chine. T. IV, in-4º. p. 148.)

XXXIV.

La Raison veut que la sur-veille des nôces, le meilleur ami ou le plus proche parent d'un épouseur, lui répète par trois fois les paroles suivantes, qu'Euripide met dans la bouche du jeune Hyppolite; et que le trop galant Racine s'est bien gardé de nous transmettre:

«...Heureux l'époux qui ne voit en sa maison qu'une femme simple! car le comble du malheur, c'est une femme bel-esprit. Me préservent les Dieux d'une épouse qui sait plus qu'elle ne doit savoir!...»

(Act. III. Scène 2. Phèdre et Hyppolite.)

N. B. Phèdre se piquait de bel-esprit, voire même de philosophie; Phèdre!...

XXXV.

La Raison veut que dans le cérémonial du mariage chez les modernes, on imagine quelqu'incident du genre de celui-ci pratiqué par les anciens:

En Béotie, les nouvelles mariées étaient conduites avec pompe à la maison de leur époux, montées sur un char dont on brûlait l'essieu à la porte, afin de leur faire entendre qu'elles n'en devaient plus sortir.

XXXVI.

Dans Rome ancienne, quand une nouvelle mariée posait le pied sur le seuil de la maison maritale, on lui demandait:

Que savez-vous?

Elle ne répondait pas: je sais lire, je sais écrire, je sais peindre, etc.

Elle disait simplement, Je sais filer.

La Raison veut que l'on renouvelle cet ancien usage.

Les bons usages ne devraient jamais passer de mode.

XXXVII.

La Raison invite à compulser le greffe des tribunaux civils et criminels; on y verra dans le nombre des épouses divorcées beaucoup plus de femmes de lettres, virtuoses,.... etc., à proportion que d'autres.

Est-ce pour éviter ce scandale que les neuf Muses gardent le célibat?

XXXVIII.

La Raison veut qu'une femme soit aussi réservée à montrer en public les trésors de son esprit, que les charmes secrets de sa beauté.

XXXIX.

La Raison veut que, pour donner l'exemple, les épouses de nos premiers Magistrats, Sénateurs, Tribuns, Juges, Généraux, etc. aux thés, aux cercles, aux conversations et autres assemblées oiseuses, substituent chez elles des veillées laborieuses et utiles, où on les verrait avec édification, mettre elles-mêmes la main aux vêtemens de leurs augustes époux.

Andromaque et Pénélope, femmes de deux héros, ne dédaignaient pas de présider à tous les détails domestiques.



Theodore Miller - Lee Miller et Tanja Ramm





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