« Les contes ne sont pas faits pour endormir les enfants mais pour éveiller les hommes. »
Le petit poucet - Illustration de Gustave Doré
Je ne sais pas ce qui me pousse perpétuellement vers les contes, mais plus j'en découvre, et plus ils me fascinent ; plus j'en lis, mieux je les comprends. Il est amusant également de constater à quel point ils se ressemblent, tant dans leur structure que dans leur contenu. Il arrive même de trouver des scènes identiques dans des contes qui sont pourtant en apparence totalement différents. Ainsi, j'ai découvert il y a peu, mais je ne vous l'apprendrai peut être pas, que « La Belle et la Bête1 » de madame Leprince de Beaumont et la version de « Cendrillon2 » des frères Grimm ont une scène commune : les deux soeurs aînées demandent au père qui part en voyage de leur ramener de beaux habits et des pierres précieuses, la fille la plus jeune (la Belle ou Cendrillon) ne demandent rien. C'est le père qui leur propose de leur ramener quelque chose, elles choisissent donc pour l'une une rose, pour la seconde une branche de rameau.
Le conte qui m'est le plus cher est bien évidemment « Le petit chaperon rouge »... Je crois que ce qui est merveilleux, dans ce genre de récits, c'est que chacun prend ce qu'il veut en prendre, et peut choisir — consciemment ou non — de laisser ce qui ne lui convient pas, ou ce qui lui semble trop violent ou cruel. Les contes sont un miroir de nos sentiments, de nos peurs, de nos fantasmes. Ils nous permettent de tester une palette impressionnante de sensations sans pour autant que l'on soit obligé de se mettre réellement en danger. Ils permettent différents niveaux de lecture. Enfants, nous nous identifions aux princes et aux princesses, nous allons combattre les dragons et affronter les ogres. Nous prenons des risques bien au chaud dans notre lit, nous avons peur, nous sommes chevaleresques ou amoureuses... Nous apprenons à surmonter un obstacle, à vaincre les méchants... et nous sommes toujours récompensés. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants... Mais les contes ne se limitent pas à ces belles histoires. Sous leur aspect faussement naïf et enfantin, et avec leur structure simple en apparence, ils nous disent bien plus que ça. Peau d'Âne s'enfuit de chez elle à cause d'un père incestueux ; la Belle au bois dormant du Moyen-Âge accouche de jumeaux alors qu'elle est encore endormie, ce qui implique un viol pendant son sommeil ; la mère du Petit Chaperon rouge l'envoie sciemment se faire croquer par le loup ; les parents du Petit Poucet se débarrassent de leurs rejetons parce que trop pauvres pour nourrir tous ces estomacs affamés... Ces notions, lorsque nous les lisons en tant qu'adultes, nous parlent autrement que lorsque que nous étions enfants et que nous trouvions "rigolo" le dialogue entre le loup et le chaperon rouge, par exemple.
Le petit poucet - Illustration de Gustave Doré
Ce qui est merveilleux dans les contes, c'est qu'ils "parlent" à tout le monde, ils font partie de l'inconscient collectif. Tout le monde ne pourra pas conter exactement Le Petit poucet ou Barbe-Bleue, mais chacun sait que le premier sème des cailloux pour retrouver son chemin, et que le second tue toutes ces épouses... Et les contes sont partout : au cinéma, dans les publicités, dans les jeux vidéos... et même dans le monde du travail. Il existe ainsi des consultants spécialisés dans de grosses entreprises qui exploitent les contes et leurs mécanismes pour redynamiser des équipes, pour former des « winners ». Tout le monde peut comprendre ce schéma : le royaume est en danger, le roi demande donc à un chevalier d'aller vaincre les méchants dragons pour retrouver une certaine quiétude. Le chevalier aura besoin de nains qui lui donneront des pouvoirs magiques pour mener à bien sa mission. Il n'y a pas besoin de faire de dessin pour comprendre que l'entreprise bat de l'aile, que le directeur nomme une personne pour résoudre le problème, et que cette personne aura besoin d'être aidée pour faire correctement son job... Malin, non ?!
Et puis les contes ont toujours existé. Chaque société, chaque groupe d'individus, a ainsi des "histoires" qui sont contées depuis des générations, qui sont adaptées à la réalité de chaque époque. Ces histoires véhiculent un certain nombre de notions, de valeurs ou d'idées communes pour le groupe. Ces contes "parlent" à tous les membres d'un même groupe social. Les contes régionaux, par exemple, reprennent beaucoup d'éléments des contes traditionnels que nous connaissons tous, mais ils sont ancrés dans la "réalité locale". Ainsi, on introduit des noms de villages ou de hameaux pour que les gens s'identifient mieux, on introduit également une spécificité locale (le "drac" par exemple, par chez moi... qui est le diable ou l'ogre). Les contes sont vivants... c'est ce qui les rend passionnants et éternels...
Je me rends compte que cet article part un peu dans tous les sens et je m'en excuse, mais j'ai l'impression que je pourrais tenir des nuits entières à parler des contes en général... Je ne peux que vous conseiller de vous replonger dans les contes qui ont bercé votre enfance, mais en mettant de côté les versions Disney et en reprenant les "basiques" : Grimm, Perrault, Andersen... Je suis certaine que vous découvrirez beaucoup de perles...
Et puis je viens de me louer un film documentaire sur Vodéo (ce qui explique en réalité cet article) sur les contes. Ce n'est pas un documentaire exceptionnel, mais il est quand même assez intéressant :
Requiem pour un conte, réalisé par David Maltese, 2007.
1 La Belle et la Bête, Madame Leprince de Beaumont
« Il y avait un an que cette famille vivait dans la solitude, lorsque le marchand reçut une lettre par laquelle on lui annonçait qu'un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d'arriver sans encombre. Cette nouvelle faillit faire tourner la tête à ses deux aînées qui pensaient qu'enfin elles pourraient quitter cette campagne où elles s'ennuyaient tant. Quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien, car elle pensait que tout l'argent des marchandises ne suffirait pas à acheter ce que ses soeurs souhaitaient.
— Tu ne me pries pas de t'acheter quelque chose ? lui demanda son père.
— Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m'apporter une rose, car on n'en trouve point ici.
Ce n'est pas que la Belle se souciât d'une rose mais elle ne voulait pas condamner, par son exemple, la conduite de ses soeurs qui auraient dit que c'était pour se distinguer qu'elle ne demandait rien. »
2 Cendrillon, Jacob et Wilhelm grimm
« Il advint un jour que le père voulut se rendre à la foire, alors il demanda à ses deux belles-filles ce qu'il devait leur rapporter.
— De beaux habits, dit l'une.
— Des perles et des pierres précieuses, dit la seconde.
— Mais toi, Cendrillon, que désires-tu ? dit-il.
— Père, le premier rameau qui, sur le chemin du retour, heurtera votre chapeau, cueillez-le pour moi. »
2 commentaires:
Oui. C'est pour ça que c'est bô. Dans un monde où tout est ephémère, on pourra au moins dire que bien que modifiés voire un brin oubliés, les contes parleront à chaque génération... Du moins, nous devons faire en sorte de les faire perdurer...
Exactement... Et je suis tombée par hasard, à la librairie, sur un bouquin sympathique : Les contes de crimes de Pierre Dubois. Ce sont tout un tas de contes détournés ; le petit chaperon rouge est par exemple une jeune fille machiavélique... J'adore !!
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