vendredi 1 mai 2009

Les femmes qui lisent sont dangereuses - 4


Henry Lamb [ The artist's wife ] 1933
Henry Lamb - The artist's wife, 1933


PROJET

D'UNE

LOI

PORTANT DÉFENSE

D'APPRENDRE À LIRE AUX FEMMES

Par S**-M***



À PARIS,

Chez MASSE, Éditeur, rue Helvétius, nº. 580.




AN IX. 1801.



Quatrième partie
(Re)lire la troisième partie
(Re)lire la deuxième partie
(Re)lire la première partie



... suite (et fin) du texte de la loi...


XL.

Les maîtresses de maison pourront coudre un vêtement, pour l'offrir à titre de reconnaissance ou de cadeau à l'homme de lettres, dont elles auront entendu, pendant leurs veillées, un ouvrage rempli de sentimens vertueux et de talent.

La bonne madame Geoffrin, l'amie de d'Alembert, en agissait ainsi; elle faisait présent de hauts-de-chausses de velours aux auteurs qui l'avaient intéressée par leurs lectures.

XLI.

La Raison veut que chaque bal soit précédé par quelques heures d'un travail à l'aiguille ou au fuseau.

XLII.

La Raison interdit aux femmes les livres d'église: n'ont-elles pas le chapelet et le rosaire?

XLIII.

La Raison veut que les femmes, absolument étrangères aux misérables disputes des prêtres, s'en tiennent à la religion du cœur, et ne confessent leurs fautes qu'aux auteurs de leurs jours, ou à leurs maris, seuls juges compétens.

XLIV.

La Raison invite ceux qui prennent quelqu'intérêt à la dignité des lettres, à dissuader les femmes d'envahir un champ qu'elles n'ont point la force de cultiver, comme il veut l'être.

La pensée est chose sainte; et le feu sacré du génie s'éteindrait tout-à-fait, s'il était sous la garde même des Vestales.

C'est ce qui est arrivé au divin Homère, sous la plume de madame Dacier.

XLV.

La Raison veut que les femmes se contentent d'inspirer les poëtes, sans chercher à le devenir elles-mêmes.

Le cheval Pegaze ne se laisse bien monter que par un homme.

Une femme poëte, est une petite monstruosité morale et littéraire; de même qu'une femme souverain est une monstruosité politique.


Charles Edward Perugini [ In The Orangery ]
Charles Edward Perugini (1839-1918) - In The Orangery


XLVI.

La Raison défend aux versificateurs, prosateurs, orateurs, d'enivrer les femmes par un encens perfide qui fait qu'elles se croient nées pour toute autre chose que pour aimer et pour l'être.

Les poëtes coupables effaceront ces madrigaux avec leur langue, comme il se pratiquait jadis à Marseille et à Lyon.

Suivant Bayle: «les femmes sont faciles à gagner par les vers.»

(Dictionn.)

XLVII.

La Raison veut que désormais il soit permis aux courtisannes, seulement, d'être femmes de lettres, beaux-esprits et virtuoses.

Les plus fameuses courtisannes de la Grèce l'étaient, les deux Aspasie, Rhodope, Phryné, Lays, Thaïs, Lamia; Hypparchie était cynique de théorie et de pratique: Cléonice composait des livres avec ses amans.

(Aux premiers siècles de l'histoire moderne), «on ne tenait pas pour de véritables vierges les filles qui faisaient de grandes conversations, et qui montraient leur bel-esprit.»

(Fleury.)

XLVIII.

La Raison veut que les femmes s'abstiennent non pas seulement de la science des livres, mais encore de la science des cartes à jouer, et de l'art de tirer les cartes: ces deux occupations ruineuses, ne supposent ni esprit ni jugement.

XLIX.

La Raison permettra aux femmes l'usage des livres, quand les anges seuls se mêleront d'en composer.

«Pourquoi, (dit une maxime chinoise) ne pas apprendre à lire aux femmes?—Parce qu'il y a de mauvais livres.»

(Mém. sur la Chine, in-4º. T. IV. p. 149)

L.

La Raison veut que les compagnies savantes et les corps littéraires se refusent au plaisir de compter des femmes au nombre de leurs membres.

Les matrones de Rome ne hantaient pas les Gymnases.

La décadence de l'empire romain date du moment où les femmes se permirent d'assister au cirque, aux amphithéâtres, etc.

Les femmes grecques ne se montraient point aux jeux olympiques.

«Les femmes (dit le bon Plutarque) ne doivent jamais sortir dehors.... Leur office est de bien garder la maison.»

(Œuvres morales.)

LI.

La Raison désapprouve ces listes d'académiciens, grossies par des noms de femmes.

Le nom d'une femme ne doit être gravé que dans le cœur de son père, de son mari, ou de ses enfans.

LII.

La Raison veut qu'en attendant l'entier accomplissement de la présente loi, les femmes s'abstiennent de lire, et même d'assister aux séances publiques ou particulières des Instituts, Académies, Cercles ou Sociétés littéraires, Portiques ou Veillées des Muses, Musées, Lycées, Prytanées, Athénées,... etc.; comme aussi de suivre les cathéchismes et les cours, de hanter les bibliothèques,.... etc. Ce n'est pas là leur place: les femmes ne sont bien que chez elles, ou dans une fête de famille.

«Ses spectacles (dit Thomas, en parlant d'une femme estimable) sont ses enfans.»

(Essai sur les femmes.)


Edouard Manet [ Le chemin de Fer ] 1872-73
Édouard Manet - Le chemin de Fer, 1872-73


LIII.

La Raison veut que les femmes ne soient point admises aux tribunes du corps législatif, ni aux séances du tribunat, ni dans le parquet des tribunaux, ni aux fenêtres des maisons avoisinant les places publiques destinées aux exécutions.

Leur présence y serait un contresens.

Une femme ne doit et ne peut paraître avec décence et solemnité qu'au tribunal de famille ou de paix.

LIV.

La Raison veut qu'une femme puisse voter dans une assemblée de famille; la Raison désapprouverait fort que les femmes aillent opiner à la tribune d'une assemblée nationale.

Le premier des deux sexes, représentant naturel de l'autre, discute et stipule pour les deux ensemble.

La voix d'une femme parmi les législateurs ferait nécessairement cacophonie.

Qu'elles aillent plutôt au marché!

LV.

La Raison veut que, sans avoir égard à la réclamation de Condorcet (qui ne fut pas toujours philosophe dans sa conduite et dans ses écrits), les femmes continuent à renoncer au droit de cité, dont elles ne sauraient remplir les devoirs.

Serait-il convenable et décent, par exemple, que les jeunes filles et les femmes montassent la garde, fissent des patrouilles?... etc.

On retrouve Condorcet tout entier, quand il dit, dans la même dissertation:

«Les femmes sont supérieures aux hommes dans les vertus domestiques; elles sont meilleures, plus sensibles, moins sujettes aux vices qui tiennent à l'égoisme, à la dureté du cœur; mais...»

(Journal de 1789. p. 5. in-8º.)

LVI.

La Raison veut que les femmes tiennent le sceptre de la politesse, sans aspirer à celui de la politique.

Une femme serait aussi déplacée sur un trône que dans la chaire d'un évêque.

Que de plaisanteries ne s'est-on pas permises sur la papesse Jeanne?

«Mais Catherine II, en Russie, dira-t-on.»

Quelle est la femme honnête qui voulût ressembler à cette impératrice immorale?

La reine Christine, elle-même, disait:

«Mon sentiment est que les femmes ne devraient jamais régner».

(Mém. de sa vie, écrits par elle.)

LVII.

La Raison veut que les femmes demeurent, à l'avenir comme par le passé, étrangères aux ambages de la diplomatie.

«Ce n'est pas dans les affaires d'état, (dit Théophraste) c'est dans sa famille qu'une femme doit montrer son esprit et sa prudence.»

(Caractères.)

LVIII.

La Raison veut que tout citoyen qui aura choisi pour épouse et compagne une femme lettrée ou une virtuose, soit par le fait, regardé comme inhabile à remplir une fonction publique de quelqu'importance.

Périclès, gouverné par une femme philosophe, ne gouverna point Athènes avec toute la sagesse qu'on attendait de lui. Son administration fut brillante, mais aux dépens de la liberté publique; et cependant Périclès n'avait pas craint d'adresser aux dames d'Athènes le discours suivant, traduit mot-à-mot:

«Pour ce qui vous regarde, voici quel est mon avis en peu de paroles; n'aspirez qu'à ces vertus qui sont particulières à votre sexe, suivez la modestie qui vous est naturelle; et croyez que le plus grand éloge que vous puissiez obtenir, c'est qu'on ne dise rien de vous ni en bien ni en mal.»


Franz Eybl [ Jeune fille lisant ] 1850
Franz Eybl - Jeune fille lisant, 1850


LIX.

La Raison... qui dispense les femmes d'apprendre à lire et à écrire, pour empêcher qu'elles n'éludent la présente loi, en dictant les produits de leur imagination à un copiste complaisant, défend à tout homme d'écrire sous la dictée des femmes, excepté une lettre à leurs pères ou à leurs maris absens, ainsi tout ce qui peut intéresser l'économie domestique.

LX.

La Raison veut que tous les bons livres (et ils ne sont pas en si grand nombre) soient lus aux femmes, mais non lus par elles.

LXI.

La Raison veut que les chefs de maison, les pères et les maris se fassent un devoir de remplir les fonctions de lecteurs auprès des femmes. Est-il un tableau plus touchant que celui de Greuze, représentant un père de famille, lequel assis à une table, fait lecture de la bible à ses enfans rangés autour de lui?

LXII.

Chacun des chefs de maison transcrira, pour le lire à sa femme et à ses filles, à tout le moins une fois l'an, le premier livre des Économiques par Xénophon: c'est un chef-d'œuvre de raison et de sensibilité.

LXIII.

La Raison veut qu'un chef de maison réponde à sa femme et à ses filles tentées de lui reprocher le peu d'éducation littéraire qu'il leur donne, par ce passage d'un livre plein de sens, imprimé au commencement du siècle qui vient de finir:

«De toutes les sciences, celle qui convient le mieux aux femmes et à laquelle elles se devraient principalement appliquer, c'est la science des mœurs... Les autres sciences leur sont fort inutiles... L'expérience leur apprend que si elles veulent s'attirer de l'amour, du respect et de la considération, il ne faut pas pour cela qu'elles soient théologiennes, mathématiciennes, physiciennes, rhétoriciennes, historiennes.... etc. Les plus instruites dans ces sciences, ne sont pas celles qui plaisent le plus.»

(p. 195-196. la Langue, T. I. in-12, 1707)

LXIV.

La Raison veut que le père, le mari, les frères et les enfans de chaque maison ne portent d'autres vêtemens que ceux filés et tissus de la main des filles et des sœurs, des épouses et des mères.

L'empereur César Auguste portait d'ordinaire des habits faits par sa femme, sa sœur et ses filles.

En ce temps-là, on ne voyait point les femmes armées d'une plume et d'une férule, composer des romans et des traités de théologie.

En ce temps-là, on ne voyait point un père et sa fille joûter l'un contre l'autre à qui fera les plus gros livres de finance et de littérature, de morale et de religion, tandis que la mère plus sage et mal imitée, fondait des hospices.

LXV.

En Chine, la femme d'un Lettré ne peut pas employer des mains étrangères pour les habits de son époux; il faut qu'elle en tire la matière de ses vers-à-soie, la mette en œuvre et les fasse elle-même.

(Voyez le Ly-Ki.)

La Raison propose cet exemple aux épouses et compagnes des membres de l'Institut et des autres Sociétés littéraires.


Jean Baptiste Camille Corot [ La Liseuse couronnée de fleurs ou La Muse de Virgile ] 1845
Jean Baptiste Camille Corot
La Liseuse couronnée de fleurs ou La Muse de Virgile, 1845


LXVI.

La Raison veut que les femmes qui s'obstineraient à faire des livres, ne soient point admises à faire des enfans.

Bayle ne conseille point aux beaux-esprits femelles de s'engager dans les liens du mariage.

Selon lui: c'est le sort ordinaire des femmes savantes d'essuyer plusieurs chagrins domestiques....

(Dictionnaire.)

Bayle aurait pu ajouter: et d'en causer.

LXVII.

Les hommes ont consacré une fête à la découverte de l'alphabet et de l'imprimerie.

Les hommes et les femmes se réuniront pour célébrer une invention charmante, plus précieuse peut-être encore, et qui certainement n'est point susceptible des mêmes abus, l'invention de la gaze.

LXVIII.

La Raison veut qu'on réalise cette ancienne loi proposée par le sage Pythagore au peuple de Crotone.

«Honore la charrue et la quenouille; consacre leur une fête chaque année.»

(2578. loi.)

On conserva, pendant plusieurs siècles, dans un temple, à Rome, la quenouille et le fuseau de Tanaquil, chargés de la laine que cette reine avait filée. Elle passait pour la plus habile fileuse de son tems.

Les filles romaines qui se mariaient étaient accompagnées pendant le cérémonial d'une personne portant une quenouille garnie.

En Chine, l'impératrice célèbre tous les ans la fête du fuseau.

Filer vaut mieux qu'ourdir des trames politiques ou des cabales littéraires.

LXIX.

La Raison veut que dans toutes les assemblées et fêtes publiques, les filles à talent et les femmes de lettres, (tant qu'il y en aura) cèdent le pas aux bonnes ménagères et aux mères de famille.

LXX.

La Raison veut que le soin de brûler des parfums et de tresser les guirlandes de fleurs et les couronnes dans les fêtes publiques, soit réservé aux vierges pures et sans lettres.

Les épouses et les mères de famille gardent la maison.

LXXI.

La Raison veut que les bonnes actions des filles sages, des épouses vertueuses et des mères de famille soient proclamées, en leur absence, dans les solemnités nationales.

On portera chez elles les couronnes qui leur auront été décernées. On leur répétera l'hymne chanté en leur honneur, et non imprimé; on en confiera la tradition à la mémoire de leurs parens ou de leurs enfans.


Jean-Honoré Fragonard [ Jeune fille lisant ] 1770
Jean-Honoré Fragonard - Jeune fille lisant, 1770


LXXII.

La Raison veut qu'aux fêtes publiques dans toutes les communes, on proclame, non les femmes auteurs de beaux livres, mais les mères de beaux enfans.

LXXIII.

La Raison veut qu'on grave sur la tombe des femmes recommandables par la science et la pratique du ménage, cette belle et antique épitaphe de la reine Amalasonthe, non pas la fille de Théodoric, roi des Goths, mais une autre Amalasonthe, beaucoup plus ancienne:

casta vixit,
Lanam fecit,
Domum servavit.

Elle vecut chaste,
Travailla en laine,
Et garda la maison.

LXXIV.

Les auteurs dramatiques sont invités à consacrer leurs talens au but moral de la présente loi. Ils pourront employer tour-à-tour les armes du sentiment et du ridicule au triomphe de la nature et de l'antiquité, compromises par la mauvaise éducation donnée aux femmes.

LXXV.

Les pères et les maris sont responsables de la stricte observance de la présente loi.

Ils seront, seuls, punis des contraventions de leurs filles et de leurs femmes.

LXXVI.

La présente loi est commise à la garde des pères de famille et chefs de maison.

Chaque père de famille et chef de maison, se procurera un exemplaire de ladite loi, pour être placé à l'endroit le plus apparent du domicile.

LXXVII.

La Raison veut que ce projet, pour devenir loi, obtienne la pluralité des suffrages: en conséquence, un vase à scrutin sera ouvert pour recevoir le oui ou le non des chefs de maison, des pères de famille, et des hommes mariés.

LXXVIII.

Aussitôt que ce projet de loi aura obtenu sa sanction par la pluralité des suffrages, chacun des chefs de maison donnera une fête à sa famille, pour y proclamer ladite loi, dans l'intervalle du repas aux danses.

En même tems, il fera jeter au milieu d'un feu de joie tous les livres et instrumens à l'usage de l'éducation factice des femmes. Autour du bûcher, on chantera une ronde composée dans l'esprit des couplets suivans:

Sur l'air: Chantez, dansez,.... etc.

Faut-il tous ces livres poudreux,
Pour être amante, épouse et mère
La nature en sait plus long qu'eux;
Avec le cœur on sait tout faire.
Chantons, dansons, travaillons bien;
Aimons-nous, le reste n'est rien.

Deux jeunes époux bien portant
Ont-ils besoin de savoir lire,
Pour être auteurs d'un bel enfant
Qui commence par leur sourire?
Chantons, etc.

Le nouveau-né, certainement,
Peut se passer de la grammaire;
Sans savoir lire au rudiment,
Il tete et caresse sa mère.
Chantons, etc.


Fin.


Vincent van Gogh [ La lectrice de roman ] 1888
Vincent van Gogh - La lectrice de roman, 1888


3 commentaires:

ckankonvaou a dit…

Super ce truc ! je m'autorise à mettre un lien vers ici tellement c'est sympa !

PetitChap a dit…

Merci... :)

Anonyme a dit…

Ayant lu, en février 2012, un article du magazine Causette consacré à cette proposition de loi, je l'ai recherchée et trouvée sur votre site. Merci. Ma prochaine session d'une formation "remise à niveau en français" se déroule le 8 mars, qui est consacrée journée internationale de la femme. Ça n'était pas voulu, mais du coup, l'ensemble du cours portera sur le féminin. Avec l'étude de ce texte remis dans son contexte historique. Pascale

Related Posts with Thumbnails