dimanche 8 juin 2008

De l'histoire du monde ...

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Création et apocalypse

Un jour, au temps où les hommes, sur les pâturages de la terre, n'avaient pas encore dressé leurs campements, dans la plus haute chambre du palais d'Asgard, la cité des dieux, une femme apparaît devant Odin, le maître des héros : elle est hallucinée, échevelée, terriblement superbe. Elle est venue révéler en secret, pour Odin seul, dans le langage des rêves, le destin du monde. Elle dit ceci :

- Ecoute, voici ce que je vois : d'abord, avant la naissance des hommes, les dieux s'assemblent sur la terre pour donner leur nom à la nuit, au matin, au midi, au crépuscule, aux jours de la semaine et aux mois de l'année. Puis sur les vastes prairies ils élèvent des maisons, des ateliers, des forges où ils façonnent des outils d'or, des charrues. Ainsi commence le temps. Le coeur du monde se met à battre. Alors apparaissent trois filles géantes. Elles viennent de la lointaine contrée où l'océan atteint les bords de la terre. Ces trois géantes, on les appelle les Nornes. La première sait tout du passé, la deuxième sait tout du présent, la troisième sait tout de l'avenir. Le temps des hommes est désormais venu.

Les dieux font naître le premier couple humain d'un arbre gigantesque : son feuillage couvre l'univers. Dans son tronc est une grande salle voûtée : c'est la demeure des trois géantes, les Nornes. Sous la première racine de cet arbre se trouve le monde des morts. Sous la deuxième racine, le monde des géants. Sous la troisième racine dort un serpent. A la cime de cet arbre vit un aigle prodigieux. Entre ses yeux, un faucon veille jour et nuit.

Les hommes, les peuples, les empires habitent dans cet arbre, mais ils l'ignorent. Les hommes imaginent un univers à leur dimension minuscule. Ils se trompent. Ils ne savent pas que leur planète n'est qu'un fruit de l'arbre de la Création. Ils ne savent pas que les autres planètes et les étoiles qu'ils voient dans le ciel ne sont que d'autres fruits de l'arbre de la Création. Ils ne savent pas imaginer la taille de cet arbre, pas plus qu'une fourmi ne peut savoir les dimensions du soleil. Mais ils vivent, les hommes. Ils travaillent, rêvent, voyagent, se battent. Ils écrivent des livres et construisent des mondes. Ils défient les dieux parfois, ils leur déclarent des guerres insensées. Ils les perdent : les dieux règnent sur toutes les planètes où vivent leurs créatures. Mais ils ont perdu leur bonheur premier, la paix des premiers temps, car on ne règne jamais sans douleur, sans fatigue, sans hargne. Non, les dieux ne vivent pas en paradis, les dieux souffrent, eux aussi.

Le temps passe avec ses longs cortèges de vivants : passe le temps des haches, d'abord. Puis le temps des épées, puis la saison des tempêtes, puis la saison des loups. Alors vient le crépuscule des mondes. Un coq à crête d'or réveille les héros. Un autre coq, couleur de rouille, réveille les morts. Un autre coq encore réveille les géants enfouis sous la deuxième racine de l'arbre. Ce jour-là, Fenrir, la bête de l'apocalypse, le loup fabuleux que les dieux ont enchaîné aux premiers temps du monde, sur une île lointaine, et qui ronge depuis ce temps la corde magique qui le tient prisonnier, Fenrir se libère enfin, brise son entrave, bondit dans le ciel, ravage Asgard, la cité des dieux, et fait un carnage de ses habitants. Les dents rouges, les babines sanglantes, il se couche enfin sur une montagne de ruines et de morts.

Alors le navire des enfers lève l'ancre. Nagfar tel est le nom de ce navire. Il est immense et brumeux. Savez-vous de quelle matière il est fait ? Il n'est pas de bois ni de fer : il fut bâti avec les ongles des morts. Avec tous les ongles de tous les morts de l'univers on a fait ce bateau, sa coque, ses mâts, ses voiles grinçantes. Ce bateau emporte les vivants.

Alors les géants, surgis du fond de l'univers, escaladent l'arc-en-ciel et déclarent la guerre aux dieux. Mais l'arc-en-ciel se brise sous leur poids. Ils tombent en désordre. Le fracas de leur chute fait trembler la terre et réveille les volcans, et réveille le serpent endormi sous la troisième racine de l'arbre. Il se dresse, il livre bataille à Thor, le dieu suprême. D'épouvantables tempêtes de sang, pendant neuf jours et neufs nuits, s'abattent sur l'univers tant ce combat est féroce. Les planètes tourbillonnent, ciel et terre, soleil, lune, étoiles, lumière et ténèbres sont confondus. Celui qui pourrait voir ne verrait, partout, que couleur de sang. Au bout de neuf jours et neuf nuits de combat, Thor enfin parvient à écraser sous son poing la tête du serpent.

Alors l'univers s'apaise. Dans la vaste prairie du monde les dieux paisibles reviennent comme ils étaient venus aux premiers temps. Ils semblent se réveiller d'un long cauchemar. Mais dans l'herbe verte du pâturage, cette fois, ils découvrent les pièces d'un jeu d'échecs dispersées. Qui a joué, et contre qui ? Les dieux eux-mêmes ne le savent pas. Ils construisent à nouveau des maisons, des ateliers, des forges. Ils fabriquent des outils d'or, des charrues. Le soir devant le feu ils parlent des batailles passées.

Et ils disent que, bientôt peut-être, des hommes nouveaux reviendront au monde. Et tout recommencera.


Conte tiré de la mythologie scandinave

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Oh j'en pleurerais de joie !
Devant tant de beautés réunies, je ne puis que m'incliner...
Conte scandinave, je te reconnais ;
Conte scandinave, tu es la vie, tu es la mort, tu es le Tout, au milieu de l'immensité ;
Conte scandinave, ... !

M. Ogre a dit…

... Bon ... Non, je ne pleurerai pas !!! N'insistez pas ... Je n'aurais plus assez de larmes le jour où il le faudra vraiment ... Mais pour le reste, j'avoue beaucoup aimé aussi les contes et légendes scandinaves !!! Ils sont très riches et ont nourris plus de la moité des histoires de l'Europe occidentale ... Sâchant quand-même, qu'il se nourrissent eux-mêmes de légendes indo-européennes plus anciennes encore ... Alors, vous me direz, des Indiens perdus dans le grand Nord ... Bah !!! La mondialisation avant l'heure ... Je comprends que la Noble Fée soit séduite ... Sir Tolkien s'en est lui-même nourrit abondamment !!!

M. Ogre a dit…

er

PetitChap a dit…

Eh bien ... Si je m'attendais à ça ... J'ai eu un mal fou à choisir le conte du jour, je suis heureuse de voir qu'il vous fait plaisir, à tous les deux.
Je ne te cache pas, chère Elbereth, que je me doutais quand même un petit peu que tu l'apprécierais ... Il te ressemble ... Je ne sais pas bien comment expliquer ça, mais il ressemble à ton monde ... (bon, je ne sais définitivement pas expliquer ça ...!)
En revanche, je dois avouer que je ne connais pas (ou que très peu) les légendes scandinaves, cher Ami. Je sais que Sir Tolkien s'en est inspiré, je trouve d'ailleurs quelque chose de lui (ou de son mode de pensée) dans ce conte. C'est certainement ce qui me fait dire que ce conte ressemble à Elbereth ...

Merci à vous deux d'être passés.

La bise

Anonyme a dit…

Aaaaah tu te doutais bien qu'Elbereth serait plus qu'émue ... ... et que ton affreuse belle-soeur (oui parce que dans les contes les belles-soeurs et belles-mères sont toujours affreuses) viendrait te féliciter pour ce très beau choix dominical.

P.S. : bien le bonjour à vous Mme Elbereth et Mr l'Ogre !!!

Le Royaume d'Ashenah a dit…

j'aime beaucoup l'Asatrù, bien que ses dérives aient amenées l'émergence de mouvements un peu nauséabonds. Trés beau conte Petitchap.

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