mercredi 16 juillet 2008

Jaurès, une légende en albigeois...

Il existe pléthore de bouquins sur Jean Jaurès, sa vie, son oeuvre, et tout le tintouin... J'ai donc choisi de vous faire part de la vision de Jaurès en albigeois. Il est quasiment élevé au statut de légende.


Portrait de Jean Jaurès
Jean Jaurès



Jaurès est devenu lui aussi d'une certaine façon, pour une frange importante de la population tarnaise - notamment dans le Ségala - un personnage à la stature légendaire, un véritable héros de légende.

« J'ai grandi dans le culte de Jaurès... » écrivait Laurent Naves (Mon chemin, 1968). Cette phrase aurait pu être prononcée par bien d'autres habitants du bassin Carmausin et plus largement de l'ensemble du Ségala. C'est en tout cas ce qui ressort de plusieurs de nos témoignages.

Jean Jaurès naquit à Castres le 3 septembre 1859. En 1881, après son agrégation, il fut nommé professeur au lycée d'Albi puis en 1883 à Toulouse où il devint adjoint au maire. En 1885 au cours des élections législatives qui eurent lieu au scrutin de liste départemental s'affrontaient une liste réactionnaire ou conservatrice menée par le baron René Reille et la liste républicaine avec entre autres Jean Jaurès. Le parti républicain emporta 5 sièges sur 6 (Jaurès, Lavergne, Cavalié, Compayre et Héral) pour un siège chez les réactionnaires, celui du baron de Reille. Aux élections législatives de janvier 1893, pour la première fois dans la deuxième circonscription s'affrontèrent des candidats républicains et socialistes. Jean Jaurès fut élu au deuxième tour le 22 janvier. Il fut ainsi le premier député socialiste de Carmaux, député de la deuxième circonscription d'Albi. Socialiste modéré, hostile à la révolution violente, Jean Jaurès fut élu à nouveau aux élections législatives générales qui se déroulèrent le 20 août 1893. Il perdra son siège en 1898 -élections législatives du 8 mai 1898- au profit du marquis de Solages pour être réélu en 1902. Il restera député jusqu'à son assassinat le 31 juillet 1914.


Affiche Jaurès - 2e circonscription



Bien que d'origine quelque peu bourgeoise, il savait se mettre à la portée du peuple, notamment des paysans dont il savait parler le langage. Il s'adressait d'ailleurs souvent à eux en occitan. Sa bonhomie, sa simplicité, sa tenue vestimentaire toujours quelque peu négligée, ne pouvaient que le rapprocher des ouvriers et des paysans.

A plusieurs reprises nous avons été étonnés de voir avec quelle émotion les habitants de la région peuvent encore aujourd'hui parler de Jean Jaurès, ceux qui l'avaient directement connu comme ceux qui en ont simplement entendu parler de leurs parents.

Plusieurs personnes en effet nous ont relaté le passage de Jaurès dans leur village. Ainsi à Canezac en 1902 où il avait interrogé une élève de l'école née en 1893 qui se trouvé être la mère de l'un de nos informateurs. Le tribun lui avait demandé ce qu'elle souhaitait pour l'avenir, ce à quoi elle aurait répondu :
« - que les poules fassent beaucoup d'oeufs et qu'ils se vendent bien !
Vous comprenez autrefois dans les maisons, les femmes vendaient les oeufs et avec les oeufs elles se payaient l'épicerie. C'était surtout le revenu des femmes ça. Quand on faisait cuire un oeuf à quelqu'un c'était pas une gourmandise mais presque...
» (Montirat)


 Rencontre entre Jean Jaurès,<br />Adrien Cros et Alban de Connac
En 1900 à Pampelonne (Tarn) - Rencontre entre Jean Jaurès (à gauche),
Adrien Cros et Alban de Connac, maire de Pampelonne - (Coll. Rieunau)


D'autres nous montrèrent avec quasi religiosité la chaise où Jaurès s'asseyait lorsqu'il venait rendre visite à quelqu'un de la maison, un balcon du haut duquel il avait harangué la foule... A Pampelonne au café restaurant hôtel Malfettes, Jaurès avait sa chambre attitrée. On l'appelle toujours du reste : la chambre de Jaurès.
« Tot lo monde coneis Jaurès mas i a plan de monde que sabon pas qu'èra sale coma un pelharòt. E l'otelièira aqui la Malfetona i lavava lo linge quand venia a Pampalona. Pareis qu'èra crassut. » (Michel Besombes, Pampelonne)

[« Tout le monde connaissait Jaurès mais peu de gens savent qu'il était sale comme un chiffonnier. Et l'hôtelière ici, la Malfetoune, lui lavait le linge quand il venait à Pampelonne. Il parait qu'il était crasseux. »]

Sa tenue vestimentaire est ainsi devenue légendaire dans le pays. A Valence on dit de quelqu'un à la veste mal boutonnée :
« Tèn, sias botonat coma Jaurès ! » (Monsieur Badia, Valence)

Tiens, tu es boutonné comme Jaurès »]


Discours de Jaurès - Mai 1913
Discours de Jaurès en mai 1913


On légendifie aussi ses talents d'orateur :
« Lo meu paire me disia que quand Jaurès venia a Valença e que fasia un discors, èra dins une fenhal qu'èra bèla, la fenhal èra plena e i avias pas un rector del seminari de Valença que mancava al discors de Jaurès. Totes los rectors venian escotar Jaurès parlar. Devian comprene qu'èra un grand òme. Jaurès aici èra lo Bon Dieus. Quand Jaurès soguèt tuat tot lo monde plorava a Valença. Lo monde sabian pas se Jaurès èra de gaucha o de drecha, per eles èra un sant ; èra Jaurès. » (Jean Bouyssié, Valence)

Mon père disait que quand Jaurès venait à Valence pour faire un discours, - cela se passait dans une grande grange - la grange était pleine et pas un seul curé du séminaire ne manquait le discours de Jaurès. Tous les curés venaient écouter Jaurès parler. Ils devaient comprendre que c'était un grand homme. Jaurès ici c'était le Bon Dieu. Quand il a été tué, tous les gens pleuraient à Valence. Les gens ne savaient pas si Jaurès était de gauche ou de droite, pour eux c'était un saint ; c'était Jaurès. »]

La probité du tribun est aussi mise en avant. Ainsi on nous rapporta qu'un jour quelqu'un de Valence avait voulu lui offrir un lièvre pour le remercier d'un service rendu.
« Jaurès trapa aquela lèbre e la caressava.
- Mon Dieu qu'elle est belle, vous ne pouvez pas savoir le plaisir que vous me faites ! Vos remèrci plan de tot aquò mas lo pus grand plaser qu'anatz me far es de tornar prene aquela lèbre e de la manjar ambe mos amics, a ma santat. Mas a cap de prètz la prendrai pas.
» (Jean Bouyssié, Valence)

Jaurès prit le lièvre dans ses mains, et le caressa.
- Mon Dieu qu'elle est belle, vous ne pouvez pas savoir le plaisir que vous me faites ! Je vous remercie bien pour tout cela, mais le plus grand plaisir que vous me ferez c'est de reprendre ce lièvre et de le manger avec mes amis, à ma santé. Mais à aucun prix je ne le prendrai.
»]

Article tiré de...
Legendas d'Occitània (Légendes d'Occitanie) : Albigeois, Montagne Noire, Quercy, Rouergue - de Daniel Loddo, avec la collaboration de Bertrand de Viviès - CORDAE-La Talvera, 2005

... à suivre ...


3 commentaires:

M. Ogre a dit…

... J'aime bien Jaurès ... Bon, certes, il est un peu trop modéré à mon goût ... Didactique et pédagogique dirions-nous, mais bon ... qui se souvient qu'il a été parmi ceux qui ont le plus dénoncé le conflit ... que dis-je ... la boucherie à venir, celle de 14-18 ... Il en fut, hélas, une des premières victimes ... Respect !!!
Quand à savoir s'il nouait sa cravate à gauche ou de travers ... quelle importance ...
J'attends donc la suite avec gourmandise ...

Anonyme a dit…

Je vais mettre ces paroles de Brel magnifiquement reprises par Zebda... superbe chanson !

Et tu te doute que j'adore Jaurès, et que ses mots à lui
dans la bouche de Sarko il y a un an m'ont fait mal !!


"Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s'appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grand-parents
Entre l'absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d'être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

On ne peut pas dire qu'ils furent esclaves
De là à dire qu'ils ont vécu
Lorsque l'on part aussi vaincu
C'est dur de sortir de l'enclave
Et pourtant l'espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux cieux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu'à la vieillesse
Oui notre bon Maître, oui notre Monsieur

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Si par malheur ils survivaient
C'était pour partir à la guerre
C'était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelque sabreur
Qui exigeait du bout des lèvres
Qu'ils aillent ouvrir au champ d'horreur
Leurs vingt ans qui n'avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prèles oui notre Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l'ombre d'un souvenir
Le temps de souffle d'un soupir

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?"

Anonyme a dit…

Merci pour cet hommage de Jean Jaurès .Bonnes vacances !!!

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