vendredi 18 juillet 2008

Jaurès, une légende en albigeois... (suite et fin)

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Plusieurs personnes nous relatèrent les déconvenues de Jaurès lors de l'une ou l'autre de ses visites électorales. Ainsi à Faussergues :
« Un còp qu'èra vengut a Faussèrgas i aviá qualquas femnas que i avián escampats d'uòus coats. Lo rector lor aviá dich qu'èra lo Diables. » (Madame Badia, Valence)
Une fois qu'il était venu à Faussergues, des femmes lui avaient jeté des oeufs couvés dessus. Le curé leur avait dit que c'était le Diable ! »]
On nous relata de même diverses anecdotes à propos de sa tolérance lors de ses tournées électorales. Ainsi en dépit des incidents qui émaillèrent toute la campagne de 1898, notamment à Mirandol Bourgnounac et à Pampelonne où les partisans du Marquis de Solages n'avaient eu de cesse de l'empêcher de parler — en faisant sonner le tocsin, en faisant taper sur des chaudrons ou des casseroles pendant la réunion publique — celui-ci avait la réputation de rester toujours très calme.




Illustration de l'assassinat de Jaurès. © J.L Charmet


L'assassinat de Jean Jaurès reste encore profondément ancré dans les mémoires. Selon la légende, le député avait souvent prophétisé une telle fin.
« Quand Jaurès arribava a Serenac la mairina trapava lo drapèu roge e davant Jaurès desfilava. E la mairina me racontava sovent qu'aviá entendut Jaurès parlar ambé lo pairin ambe son paire e ie disiá :
- Monsieur Pujol, je peux vous assurer qu'un jour je serai assassiné ! » (Jean Bouyssié, Valence)

[« Quand Jaurès arrivait à Sérénac, ma grand-mère prenait le drapeau rouge et défilait devant Jaurès. Et ma grand-mère me racontait souvent qu'une fois elle avait entendu Jaurès parler avec le grand-père, avec son père, et il lui disait :
- Monsieur Pujol, je peux vous assurer qu'un jour je serai assassiné ! »]
La nouvelle de la mort de Jaurès -il fut abattu le 31 juillet 1914 de deux balles dans la tête dans un café parisien par le nommé Vilain- se répandit comme une trainée de poudre dans tout le pays. Laurent Naves raconte dans son ouvrage (Mon chemin, 1968) comment chez lui ils avaient appris la nouvelle vers 11 heures du soir par Augustin soulier qui avait reçu un télégramme de la préfecture et de quelle façon ce dernier et son père allèrent porter la triste nouvelle à Jean-Baptiste Calvignac (1854-1934 - maire de Carmaux, fidèle partisan de Jean Jaurès) qui s'effondra, accablé de douleur dans son vestibule. Tout au long de la nuit la nouvelle se répandit dans Carmaux qui était en ébullition ainsi que dans toute la région.
« Dans Carmaux tout le monde pleurait, tout le monde criait :
- Nos an tuat lo nòstre Janon ! »

On nous a tué notre petit Jean ! »]


Commémoration de l'assassinat de Jaurès. © Roger-Viollet


A Valence la nouvelle de cet assassinat se répandit aussi rapidement, diffusée au départ par Panis le cordonnier.
« Panis venguèt trobar ma maire :
- Lucie Lucie ! Nos an tuat Jaurès ! Nos an tuat Jaurès !
Tot lo monde plorava. E dins lo cap del monde, avián tuat Jaurès, e sabián que la guèrra seriá aquí. E se trompavan pas. Perqué a l'epòca lo paire me disiá que Jaurès èra sovent en Alemanha ambe los sindicats e qu'èran d'acòrdi de far pas la guèrra e de menar totes los obrièrs a refusar aquela guèrra. E tant que soguèt aquí mantenguèron aquò mas que un còp que i soguèt pas mai sogèt finit. » (Jean Bouyssié, Valence)

Panis vint voir ma mère :
- Lucie, Lucie ! Ils nous ont tué Jaurès ! Ils nous ont tué Jaurès !
Et à Valence, tout le monde pleurait. Et dans la tête des gens, on venait de tuer Jaurès, la guerre serait donc bientôt là. Et ils ne se trompaient pas. Parce qu'à l'époque, mon père me disait que Jaurès était souvent en allemagne avec les syndicats et qu'ils étaient d'accord pour ne pas faire la guerre et pour inciter les ouvriers à refuser la guerre, et tant qu'il fut là ils maintinrent cela mais quand il ne fut plus là ce fut terminé. »]
Le 1 août à midi l'ordre de mobilisation générale fut affiché partout et la tradition populaire fit vite le rapprochement entre ces deux événements.
« Jaurès voliá pas la guèrra. La guèrra de 1914 es el que l'arrestava, tanlèu que l'agèron tuat, la guèrra esclatèt. » (Monestiés)

Jaurès ne voulait pas la guerre. La guerre de 1914, c'est lui qui l'arrêtait et sitôt qu'il fut tué, la guerre éclata. »]
Le 23 novembre 1924 les cendres de Jean Jaurès furent transférées au Panthéon. Jusque là son corps reposait au cimetière des Planques à Albi. La levée du corps au cimetière des Planques et l'acheminement vers la gare d'Albi eurent lieu le vendredi 21 novembre en présence d'une foule considérable.
« On était dans la rue de la République et on regardait passer le cortège. Et nous avons suivi, nous avons été sur le Vigan et on a pas pu arriver jusqu'à la gare voyez, il y avait tellement de monde ! Et un silence ! Jamais de ma vie je n'ai entendu un tel silence. Écoutez, je crois que les petits oiseaux s'étaient arrêtés de chanter, nom de nom, tellement c'était silencieux. On entendait rien, les gens pleuraient, c'était tout. Je vous assure qu'on aurait voulu les garder ces cendres ici. Il y a toute une délégation de mineurs qui est partie accompagner les cendres jusqu'au Panthéon. J'avais 12 ans. Je me rappelle qu'il y avait du monde partout, c'était une foule, les trottoirs étaient pleins. Il y avait des gens qui étaient venus de partout. Il y avait des musiques qui jouaient des marches funèbres de temps en temps. C'était poignant. » (Rose Gargaros, Carmaux)


Statue de Jean Jaurès. Monument à Carmaux.


Cette même informatrice nous disait à propos de ce qu'elle nomme les morts successives de Jaurès et de Carmaux :
« Carmaux est mort trois fois : quand on a sorti la verrerie, qu'elle est partie à Albi, Carmaux est mort une deuxième fois quand on a tué Jaurès, et Carmaux est mort je dis moi pour la troisième fois quand on nous a démoli la statue de Jaurès sur la place Jean-Jaurès. On s'est levé un matin et on nous avait démoli la statue de Jaurès, un bras était coupé et beaucoup de choses. Alors on a fait une collecte dans Carmaux et des gens de Castres de partout nous ont donné de l'argent et on a pu refaire exactement la statue comme elle était. »


Article tiré de...
Legendas d'Occitània (Légendes d'Occitanie) : Albigeois, Montagne Noire, Quercy, Rouergue - de Daniel Loddo, avec la collaboration de Bertrand de Viviès - CORDAE-La Talvera, 2005


2 commentaires:

M. Ogre a dit…

... Superbe cette chronique en langue locale ... Bravo et merci pour l'instruction ...
La bise

Anonyme a dit…

Jaurés, j'ai vu un film sur lui il n'y a pas longtemps... comme c'est l'histoire de France, ça m'intéressait pas vraiment, mais en fait j'ai bien aimé, c'était une époque bien hard.

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